Deuxième version


LETTRE QUINZI�
�ME.

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je vis avec le Cacique
& fa fœur
, mon cher Aza ,
plus j'ai de peine à me perfua-
Qcr qu^ils (
oient de cette Na-
tion :
eux feuls connoiffent &:
refpecl
ent la vertu.

Les mani
ères fimples , la
bonté naïve, la modefte «^ayeté
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eroient volontiers
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er qu'elle a été élevée par-
mi nos Vierges. La douceur
honnête, le tendre férieux de
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on frère , perfuaderoient faci-
lement qu'il eft né du fang des
Incas, L'un &: l'autre me trai-
tent avec autant d'humanité
que nous en exercerions à leur

I. Pan. ^ P



lyo Lettres d'une

égard , fi des malheurs les
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nt conduits parmi nous.
Je ne doute même plus que le
Cacique ne foit ton tributaire.*
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'entre jamais dans ma
chambre , fans m'offrir un prc-
f
ent de quelques-unes des cho-
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es merveilleufes dont cette
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ontrée abonde : tantôt ce font
des morceaux de la machine
qui double les objets, renfer-
més dans de petits coffres d'u-
ne matière admirable. Une au-
tre-
fois ce font des pierres lé-
res & d un éclat furprenant.



* Les Caciques Se les Curacas ecoient obli-
j>és de fcurinr les habits & Tentretien de
ïlnca &c de la Reine. Ils ne fe préfentoienc
jamais devant l'
un & l'autre fans leur olîrir
un tiibut des curiolîtes que produifoic U
Province où ils commandoienc.



Péruvienne. 171

dont on orne ici prelque tou-
tes les parties du corps j on en
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e aux oreilles, on en met
fur l'ef
tomac , au col , fur la
chauff
ure, &c cela efl très-
agréable à voir.

Mais ce que je trouve de

plus amufant, ce font de petits
outils d'un métal fort dur , oc
d'
une commodité fmguliere ;
les uns fervent à compofer des
ouvrages que Céline m'ap-
prend à faire ; d'autres d'une
forme tranchante fervent à di-
vif
er toutes fortes d'étoffes ,
dont on fait tant de morceaux
que l'on veut fans effort, &c
d'
une manière fort divertif-
f
ante.

J'
ai une infinité d'autres
raretés plus extraordinaires

Pij



1/2 Lettres d'une

encort: , mais n étant point
à notre ufage , je ne trouve
dans notre langue aucuns ter-
mes qui puiilènt t'en donner
1 idce.


Je te garde
foigneufemcnr
tous ces dons, mon cher Aza;
outre le plaifir que j'aurai de
ta f
urprife , lorfque tu les ver-
ras, c'efl qu'alTurcment ils font
à toi. Si le Cacique n'étoit fou-
mis à ton obéilTance , me paye-
roit-il un tribut qu'il fçait n'ê-
tre dû qu'à ton rang fupréme ?
Les rcfpccts qu'il ma toujours
rendus m'ont fait penfer que
ma naifTance lui ctoit connue.
Les préfcns dont il m'honore
me perfuadent fans aucun dou-
te , qu'il n'
ignore pas que je
dois être ton Epoufe, puifqu'il



Péruvienne, 175



me traite davance en Mama^
Oella *.

Cette conviction me ra
ffure
&c
calme une partie de mes in-
quiétudes; je comprends qu'il
ne me manque que la liberté
de m'
exprimer pour fçavoir du
Cacique les raifons oui Pen<7a-
gent à me retenir chez lui , &c
pour le détermxiner à me re-
mettre en ton pouvoir; mais
juf
ques-là j'aurai encore bien
des peines à foufFrir.

Il s
'en faut beaucoup que
l'
humeur de Madame , c'eft le
nom de la mère de Déterville ,
ne f
oit auffi aimable que celle
de f
es enfans. Loin de me trai-



* C'eft le nom que prenoicnt les Reines
€B montant fur le Trône.



Piij



T 74 Lettres d'une

ter avec autant de bonté, elle
me marque en toutes occafions
une froideur &c un dédain qui
me mortifient , fans que je
puifTe
en découvrir la caufe;
&
par une oppofition de fcn-
timens que je comprends en-
core moins, elle exige que je
f
ois continuellement avec elle.
C'ef
t pour moi une gêne in-
fup
portable ; la contrainte r��-
gne par tout où elle eft : ce
n'eft qu'
à la dérobée que Cé-
line & fon frcre me font des
f
ignes d'amitié. Eux - mêmes
n'ofent f
e parler librement de-
vant elle. Auffi continuent-ils
à pafler une partie des nuits
dans ma chambre ; c'eft le feul
tems oii nousiouiffons en paix
du plaifir de nous voir. Et



PePvUVIENNE. 175

quoique je ne participe gueres
à leurs entretiens , leur pré-
f
ence nVefl toujours agréable.
Il ne tient pas aux ioins de
l'un &c
de lautre que je ne fois
heureufe. Hélas ! mon cher
Aza, ils ignorent que je ne
puis Pêtre loin de toi. Se que
je ne crois vivre qu'autant que
ton f
ouvenir &c ma tendrefle
m'
occupent toute entière.




111]



1/6 Lettres d'une



  Première version


LETTRE QUINZI�
�ME.


PLus
je vis avec le Cacique & sa sœur, mon cher Aza, plus jai de peine à me persuader qu’ils soient de cette Nation, eux seuls connoissent & respectent la vertu.

Les mani
eres simples, la bonté naïve, la modeste gaieté de Céline feroient volontiers penser quelle a été élevée parmi nos Vierges. La douceur honnête, le tendre sérieux de son frère, persuaderoient facilement qu’il est né du sang des Incas. L’un & lautre me traitent avec autant dhumanité que nous en exercerions à leurs égards, si des malheurs les eussent conduits parmi nous. Je ne doute même plus que le Cacique ne soit bon tributaire [36].

Il n
entre jamais dans ma chambre, sans moffrir un présent de choses merveilleuses dont cette contrée abonde : tantôt ce sont des morceaux de la machine qui double les objets, renfermés dans de petits coffres d’une matiere admirable. Une autre fois ce sont des pierres légeres & dun éclat surprenant, dont on orne ici presque toutes les parties du corps ; on en passe aux oreilles, on en met sur l’estomac, au col, sur la chaussure, & cela est très agréable à voir.

Mais ce que je trouve de
plus amusant, ce sont de petits outils dun métal fort dur, & d’une commodité singuliere ; les uns servent à composer des ouvrages que Céline m’apprend à faire ; dautres d’une forme tranchante servent à diviser toutes sortes détoffes, dont on fait tant de morceaux que lon veut sans effort, & d’une maniere fort divertissante.

J’
ai une infinité dautres raretés plus extraordinaires encore, mais nétant point à notre usage, je ne trouve dans notre langue aucuns termes qui puissent t’en donner l’idée.

Je te garde
soigneusement tous ces dons, mon cher Aza ; outre le plaisir que jaurai de ta surprise, lorsque tu les verras, c’est qu’assurément ils sont à toi. Si le Cacique nétoit soumis à ton obéissance, me payeroit-il un tribut qu’il sçait n’être dû quà ton rang suprême ? Les respects qu’il m’a toujours rendus mont fait penser que ma naissance lui étoit connue. Les présens dont il mhonore me persuadent sans aucun doute, qu’il n’ignore pas que je dois être ton Épouse, puisqu’il me traite davance en Mama-Oella [37].

Cette conviction me ra
ssure & calme une partie de mes inquiétudes ; je comprends qu’il ne me manque que la liberté de m’exprimer pour sçavoir du Cacique les raisons qui l’engagent à me retenir chez lui, & pour le déterminer à me remettre en ton pouvoir ; mais jusques-là jaurai encore bien des peines à souffrir.

Il s
en faut beaucoup que l’humeur de Madame (c’est le nom de la mère de Déterville) ne soit aussi aimable que celle de ses enfans. Loin de me traiter avec autant de bonté, elle me marque en toutes occasions une froideur & un dédain qui me mortifient, sans que je puisse y remédier, ne pouvant en découvrir la cause ; Et par une opposition de sentimens que je comprends encore moins, elle éxige que je sois continuellement avec elle.

C’es
t pour moi une gêne insuportable ; la contrainte r�gne par tout où elle est : ce n’est qu’à la dérobée que Céline & son frère me font des signes damitié. Eux-mêmes n’osent se parler librement devant elle. Aussi continuent-ils à passer une partie des nuits dans ma chambre, c’est le seul tems où nous joüissons en paix du plaisir de nous voir. Et quoique je ne participe guères à leurs entretiens, leur présence m’est toujours agréable. Il ne tient pas aux soins de l’un & de lautre que je ne sois heureuse. Hélas ! mon cher Aza, ils ignorent que je ne puis l’être loin de toi, & que je ne crois vivre quautant que ton souvenir & ma tendresse m’occupent toute entière.


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