Deuxième version


LETTRE SEIZI�
�ME.

IL me re
fle fi peu ^e ^uipos ,
mon cher Aza, qu'à peine
î'of
e en faire ufage. Quand je
veux les nouer , la crainte de
les voir finir m'arrête, comme
il
en les épargnant je pouvois
les multiplier. Je vais perdre
le plaifir de mon ame, le fou-
tien de ma vie , rien ne foula-
ra le poids de ton abfence ,
j'en f
erai accablée.

Je
goûtoîs une volupté déli-
cate à conferver le fouvenir
des plus fecrets mouvemens
de mon cœur pour t'en offrir
l'
hommage. Je voulois confer-
ver la mém.oirc des principaux



Péruvienne. 177

uf
ages de cette Nation fingu-
liere pour amufer ton loifir
dans des jours plus heureux.
Hélas ! il me re(l:e bien peu
d^ef
pérance de pouvoir exécu-
ter mes projets.

Si je trouve
a préfent tant
de difficultés à mettre de Por-
dre dans mes idées , comment
pourrai-je dans la fuite me les
rappellerfans unfecours étran-
ger
? On m'en offre un, il efl
vrai
, mais l'exécution en eft fi
difficile, que je la crois im-
poff
ible.

Le Cacique m
'a amené un
Sauvage de cette Contrée qui
vient tous les jours me don-
ner des leçons de fa langue ,
& de la méthode dont on fe
ferc ici pour
donner une farte



îjS Lettres d'une

d'exif
tence aux penfées. Cela
f
e fait en traçant avec une
plume, des pentes figures que
l'
on appelle Lettres , fur une
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ière blanche &c mince que
l'
on nomme Papier > ces ûguïcs
ont des noms , ces noms mêlés
enf
emble repréfentent les fons
des paroles j mais ces noms &c
ces f
ons me paroifTent fi peu
diftin6l
s les uns des autres ,
que f
i je réufTis un jour à les
entendre, je fuis bien afTurée
que ce ne fera pas fans beau-
coup de peines. Ce pauvre Sau-
vage s'en donne d'incroyables
pour m'inftruire , je m'en don-
ne bien davantage pour ap-
prendre j cependant je fais fi
peu de progrès que je rcnon-
cerois à l'entreprife, fijc favois



Péruvienne. 179

qu'
une autre voie pût m'cciair-
cir de ton fort Se du mien.

Il n
'en cft point, mon cher
Aza ! AufTi ne trouvai-je plus
de plaifir que dans cette nou-
velle &: fmguliere étude. Je
voudrois vivre feule, afin de
m'y livrer fans relâche ;
& la
néceffité que l'on m'impofe
d'
être toujours dans la cham-
bre de Madame , me devient un
f
upplice.

Dans
les commencemens 5
en excitant la curiofité des au-
tres , i'amuf
ois la mienne ; mais
quand on ne peut faire ufage
que des yeux , ils font bien-tôt
f
atisfaits. Toutes les femmes fe
peignent le vifage de la même
couleur :
elles ont toujours les
mêmes manières, & je crois



i8o Lettres dune

qu'
elles difcnt toujours les mê-
mes chofes. Les apparences
f
ont plus variées dans les hom-
mes. Quelques-uns ont Pair
de penfer; mais en général je
f
oupçonne cette Nation de n c-
tre point telle qu'elle paroît ;
Taffeél
ation me paroît fon ca-
raéle
re dominant.

Si les dém
xonftrationsdezèlc
& d'
empreîTement , dont on
décore ici les moindres devoirs
de la focieté , étoient naturels ,
il faudroit , mon cher Aza ,
que ces peuples euffent dans le
cœur plus de bonté , plus d'hu-
manité que les nôtres, cela fe
peut-il penfer?

S'
ils avoicnt autant de féré-
nité dans l'ame que fur le vifa-
ge, f
i le penchant à la joie.



Péruvienne, i8i

que je remarque dans toutes
leurs actions , étoit fincere ,
choif
iroient-ils pour leurs amu-
f
emensdesfpeclacles, tels que
celui que Pon m'a fait voir ?

On m
'a conduite dans un
endroit, où l'on repréfente à
peu près comme dans ton Pa-
lais
, les allions des hommes
qui ne font plus ; ^ avec cette
différence que f
i nous ne rap-
peli
ons que la mémoire des
plus fages & des plus vertueux,
je crois qu'ici on ne cél��bre
que les infenfés &c les méchans.
Ceux qui les repréfentent ,
crient &c s'agitent commie des



* Les Incas faifoient repréfcnter des
efpcces de Comédies , dont les fuiets c'coienç
tirés des meilleures
actions de leurs prédc-
ccfieurs.



i82 Lettres d'une

furieux j j'en ai vu un pouller
f
a rage julqu'à fe tuer lui-même.
De belles femmes , qu'appa-
remment ils perfécutent, pleu-
rent fans cefTe , & font des
gell
es de défefpoir, qui n'ont
pas befoin des paroles dont ils
f
ont accompagnés, pour faire
connoître l'excès de leur dou-
leur.

Pourroit-on croire
, mon
cher Aza , qu'un peuple en-
tier, dont les dehors font fi
humains , fe plaife à la repré-
f
entation des malheurs ou des
crimes qui ont autrefois avili,
ou accablé leurs femblables ?

Mais
, peut-être a-f on befoin
ici de l'horreur du vice pour
conduire à la vertu; cette pen-
f
ée me vient fans la chercher.



Péruvienne. 185

f
i elle ctoit juile , que je plain-
drois cette Nation ! La nôtre
plus favorifée de la nature ,
chérit le bien pas fes propres
attraits j il ne nous faut que
des modèles de vertu pour de-
venir vertueux , comme il ne
faut que t'aimer pour devenir
aimable.




ï84 Lettres d'une



  Première version


LETTRE SEIZI�
�ME.


IL me re
ste si peu de Quipos, mon cher Aza, quà peine j’ose en faire usage. Quand je veux les nouer, la crainte de les voir finir marrête, comme si en les épargnant je pouvois les multiplier. Je vais perdre le plaisir de mon ame, le soûtien de ma vie, rien ne soulagera le poids de ton absence, j’en serai accablée.

Je
goûtois une volupté délicate à conserver le souvenir des plus secrets mouvemens de mon cœur pour ten offrir l’hommage. Je voulois conserver la mémoire des principaux usages de cette nation singuliere pour amuser ton loisir dans des jours plus heureux. Hélas ! il me reste bien peu d’espérance de pouvoir éxécuter mes projets.

Si je trouve
à présent tant de difficultés à mettre de l’ordre dans mes idées, comment pourrai-je dans la suite me les rappeller sans un secours étranger ? On men offre un, il est vrai, mais l’éxécution en est si difficile, que je la crois impossible.

Le Cacique m
a amené un Sauvage de cette Contrée qui vient tous les jours me donner des leçons de sa langue, & de la méthode de donner une sorte d’éxistence aux pensées. Cela se fait en traçant avec une plume des petites figures que l’on appelle Lettres, sur une matiere blanche & mince que l’on nomme papier ; ces figures ont des noms, ces noms mêlés ensemble représentent les sons des paroles ; mais ces noms & ces sons me paroissent si peu distincts les uns des autres, que si je réussis un jour à les entendre, je suis bien assurée que ce ne sera pas sans beaucoup de peines. Ce pauvre Sauvage sen donne dincroiables pour m’instruire, je men donne bien davantage pour apprendre ; cependant je fais si peu de progrès que je renoncerois à lentreprise, si je savois qu’une autre voye pût m’éclaircir de ton sort & du mien.

Il n
’en est point, mon cher Aza ! aussi ne trouvai je plus de plaisir que dans cette nouvelle & singulière étude. Je voudrois vivre seule : tout ce que je vois me déplaît, & la nécessité que l’on m’impose d’être toujours dans la chambre de Madame me devient un supplice.

Dans
ses commencemens, en excitant la curiosité des autres, j’amusois la mienne ; mais quand on ne peut faire usage que des yeux, ils sont bientôt satisfaits. Toutes les femmes se ressemblent, elles ont toujours les mêmes manières, & je crois qu’elles disent toujours les mêmes choses. Les apparences sont plus variées dans les hommes. Quelques-uns ont l’air de penser ; mais en général je soupçonne cette nation de n’être point telle quelle paroît ; l’affectation me paroît son caractère dominant.

Si les dém
onstrations de zèle & d’empressement, dont on décore ici les moindres devoirs de la société, étoient naturels, il faudrait, mon cher Aza, que ces peuples eussent dans le cœur plus de bonté, plus d’humanité que les nôtres, cela se peut-il penser ?

S’
ils avoient autant de sérénité dans lame que sur le visage, si le penchant à la joye, que je remarque dans toutes leurs actions, étoit sincere, choisiroient-ils pour leurs amusemens des spectacles, tels que celui que l’on m’a fait voir ?

On m
a conduite dans un endroit, ou l’on représente à peu près comme dans ton Palais, les actions des hommes qui ne sont plus [38] ; mais si nous ne rappellons que la mémoire des plus sages & des plus vertueux, je crois quici on ne cél��bre que les insensés & les méchans. Ceux qui les représentent, crient & s’agitent comme des furieux ; j’en ai vû un pousser sa rage jusqu’à se tuer lui-même. De belles femmes, qu’apparemment ils persécutent, pleurent sans cesse, & font des gestes de désespoir, qui n’ont pas besoin des paroles dont ils sont accompagnés, pour faire connoître lexcès de leur douleur.

Pourroit-on croire
, mon cher Aza, qu’un peuple entier, dont les dehors sont si humains, se plaise à la représentation des malheurs ou des crimes qui ont autrefois avili, ou accablé leurs semblables ?

Mais
, peut-être a-t-on besoin ici de lhorreur du vice pour conduire à la vertu ; cette pensée me vient sans la chercher, si elle étoit juste, que je plaindrois cette nation ! La nôtre plus favorisée de la nature, chérit le bien par ses propres attraits ; il ne nous faut que des modèles de vertu pour devenir vertueux, comme il ne faut que taimer pour devenir aimable.


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