Deuxième version


LETTRE PREMI
ERE.

ZA
! mon cher Aza !
les cris de ta tendre
Zilia, tels qu^une va-
peur du matin, s'exhalent &c
f
ont diffipés avant d'arriver
jufqu'
à toi ; en vain je t'appelle
à mon fecours ; en vain j'attens
que tu viennes brifer les chaî-




38 Lettres d'une

s de mon elclavage : hélas !
peut-être les malheurs que j'i-
gnore font-ils les plus affreux !
peut-être tes maux furpaflent-
ils les miens !

La ville du Soleil
, livrée à la
fureur d'une Nation barbare,
devroit faire couler mes lar-
mes ; &: ma douleur , mes crain-
tes, mon défefpoir, ne font
que pour toi.

Qu'
as-tu fait dans ce tumulte
affreux , chère ame de ma vie ?
Ton courage t'a-t-il été funefte
ou inutile ? Cruelle alternative !
mortelle inquiétude! ô , mon
cher Aza ! que tes jours foient
fauves , &c
que je fuccombe ,
s'
il le faut , fous les maux qui
m'
accablent !

Depuis le moment terrible




Péruvienne. 35^

(qui auroit dû être arraché de
la chaîne du tems, &c replon-
gé dans les idées éternelles) de-
puis le moment d^horreur où
ces Sauvages impies m'ont en-
levée au culte du Soleil , à moi-
même, à ton amour; retenue
dans une étroite captivité, pri-
vée de toute communication
avec nos Citoyens
, ignorant
la l
angue de ces hommes féro-
ces dont je porte les fers : je
n'
éprouve que les effets du
malheur, fans pouvoir en dé-
couvrir la caufe. Plongée dans
un abîme d'obfcurité , mes
jours font femblables aux nuits
les plus effrayantes.

Loin d
'être touchés de mes
plaintes, mes ravifleurs ne le
f
ont pas même de mes larmes ^



40 Lettres d'une

f
ourds à mon langage, ils n'en-
tendent pas mieux les cris de
mon délefpoir.

Quel e
ft le peuple affez fé-
roce pour n'erre point émû aux
f
ignes de la douleur? Quel de-
f
ert aride a vu naître des hu-
mains infenfibles à la voix de la
nature gémifTante ? Les Barba-
res
Maîtres dValpor,^ fiers de
la puifTance d'exterminer ! la
cruauté eft le feul guide de leurs
aél
ions. Aza ! comment échap-
peras-tu à leur fureur? où es-
tu ? que faits-tu ? fi ma vie t'efl
chè
re, inftruis-moi de ta de-
fl
inée.

Hélas ! que la mienne e
ft
changée! comment fe peut-il,

* Nom du Tonnerre.

que



Péruvienne. 41

que des jours fi femblables en-
tr'cux
, ayent par rapport à
nous de fi funeftes différences?
Le tems s'écoule ; les tén�bres
f
uccédent à la lumière ; aucun
dérangement ne s'apperçoit
dans la nature ; &c moi , du fu-
prême bonheur, je fuis tom-
bée dans l'horreur du défcl-
poir, fans qu'aucun intervalle
m'
ait préparée à cet affreux
paffage.


Tu le
fcais , ô délices de
mon cœur! ce jour horrible >
ce jour à jamais épouvantable,
devoit éclairer le triomphe de
notre union. A peine commen-
çoit-il à paroître, qu'impatien-
te d'
exécuter un projet que ma
tendrefle m'àvoit infpiré pen-
dant la nuit, je courus à mes

L Pan. ^ D



42 Lettres d'une

— - I — '

Qui DOS * j &c
profitant du iiien-
ce
qui rcgnoit encore dans le
Temple , je me hâtai de les
nouer, dans Pelpérance qu^a-
vec leur fecours je rendrois
immortelle l'hifloire de notre
amour &c de notre bonheur.

A mef
ure que je travaîllois,
P
entreprife me paroiffoit moins
difficile; de moment en mo-
ment cet amas innombrable de
C
ordons devenoit fous mes
doigts une peinture fiJelle de
nos actions &c de nos fcnti-



* Un giand nombie de pecirs Cordons de
4ifi''creates coulcu
is dont les Indiens fe ler-
''voicnc au d. faut de l'dciiturc pour faire le
payement d.s T
roupes &. le dénombrement
du Peuple-. Quelcjuts Auieuis pieicndcnt
«ju'
ils s'en fci voient aulfi poui traa»m«.ttre
à la poftciicc les Adions memoiablcs de



I



PERUVIENNE. 45

mens
, comme il étoit autre-
fois Tinterprête de nos pen-
f
ées, pendant les longs inter-
valles que nous paflions fans
nous voir.

Toute enti
ère à mon occu-
pation , j'oubliois le tems , lorf-
qu'
un bruit confus réveilla mes
ef
prits &c fit treifaillir mon
cœur.

Je crus que le moment heu
-
reux étoit arrivé , & que les
cent portes * s'ouvroient pour
laifT
er un libre paffage au So-
leil de mes jours , je cachai
précipitamment mes ^tùpos fous
un pan de ma robbe , &c je
courus au-devant de tes pas.

* Dans le Temple du Soleil il y avoic
cent portes , Vinca feul ayoîc le pouvoir de
les faiie ouvik,

Dij



44 Lettres d'une *


Mais quel horrible
fpectacle
s'ofi
rit à mes yeux ! Jamais fon
fouv^
enir affreux ne s'efïacera
de m.
a mémoire.

Les pavés du Temple en
fan- *
glantés , 1 image du Soleil fou-
lée aux pieds , des foldats fu-
rieux pourluivans nos Vierges
éperdues &c maflacrant tout ce
qui s'oppofoit à leur paffage;
nos Marnas * expirantes fous
leurs coups. Se aontles habits
brûloient encore du feu de leur
tonnerre; les gémillemens de
r
épouvante , les cris de la fu-
reur répandant de toute part
P
horreur & l effroi , m ôterent
pfqu'au f
entiment.



* Irfpcce de Gouvcinautcs des Vierges
£u Soleil.



Péruvienne. 45


Revenue à moi-même, je

me trouvai, par un mouve-
ment naturel &c prefque in-
v^
olontaire , rangée derrière
T
autel que je tenois embraiTc.
Là immobile de faifiiîèment,
je voyois palTer ces barba-
res j la crainte d'être apper-
çue arrêtoit jufqu'
à ma refpi-
ration.

C
ependant je remarquai
qu'
ils ralentiiToient les effets
de leur cruauté à la vue des
ornemens précieux répandus
dans le Temple; qu'ils fe fai-
fifT
oient de ceux dont l'éclat les
frappoit davantage ; &c qu'ils
arrachoient jufquaux lames
d'
or dont les murs étoient re-
vêtus. Je jugeai que le larcin
c
toit le motif de leur barbarie ,



4^ Lettres d'une

&c qu
e ne m'y oppoiant point,
je
pourrois échapper à leurs
coup
s. Je formai le defTein de
f
ortir du Temple» de me faire
conduire à ton Palais, de de-
mander au Capa Inca ^ du fe-
cours &c un azile pour mes
Compagnes Se pour moi : mais
aux premiers mouvemens que
je fis pour m'éloigner, je me
f
entis arrêter : ô , mon cher
Aza , j'
en frémis encore ! ces
impies oferent porter leurs
mains facriléges fur la fille du
Soleil.

Arrachée de la demeure
fa-
crée y traînée ignominieufe-
ment hors du Temple, j^ai vu
pour la première fois, le feiiil

* Nom gcnéiique des laças icguans*



Péruvienne. 47

de la porte Cclefte que je ne
devois paffer qu avec les orne-
mens de la Royauté ; * au lieu
des
fleurs que Pon auroit fe-
mées fous mes pas , i'ai vu les
chemins couverts de fang & de
mourans j
au lieu des honneurs
du Trône que je devois parta-
ger avec toi, efclave de la ty-
rannie , enfermée dans une ob
f
cure prifon ; la place que j'oc-
cupe dans l'univers eft bornée
à l'
étendue de mon être. Une
natte baignée de mes pleurs
reçoit mon corps fatigué par
les tourmens de mon ame ^
mais, cher foutien de ma vie^



* Les Vierges confacre'es au Soleil , en.=
troient dans le Temple preique en naiùjtic ^
& n'en foitoknç Que le jovu de ieui ma?;



48 Lettres d'une

que tant des maux me leronc
gers, fi j'apprends que tu
ref
pires !

Au milieu de cet horrible

bouleverfement , je ne fçais par
quel heureux hazard j'ai con-
f
ervé mes ^uipos. Je les poffé-
de, mon cher Aza , c'eft au-
jourd hui le feul
tréfor de mon
cœur, puifqu'ilfervira d'inter-
prè
te à ton amour comme au
mien ; les mêmes nœuds qui
t'
apprendront mon exiflence,
en changeant de forme entre
tes mains , m'inflruiront de
ton f
ort. Hélas ! par quelle
voye
pourrai-je les faire palTer
jufqu'
à toi? Par quelle adrefle
pourront-ils mtre rendus? Je
l'
ignore encore ; mais le même
f
entiment qui nous fit inven-
ter



Péruvienne. 49

ter leur ulàge , nous fuggercra
les moyens de tromper nos ty-
rans. Quel que foit le Cbaqui ''^
fidèle
qui te portera ce pré-
cieux dépôt, je ne cefferai d'en-
vier fon bonheur. Il te verra,
mon cher Aza; je donnerois
tous les jours , que le Soleil me
deftine ,
pour jouir un feul
moment de ta préfence. Il te
verra , mon cher Aza ! Le fon
de ta voix frappera fon ame
de refpecl: & de crainte. Il
porteroit dans la mienne la
joye & le bonheur. Il te verra
certain de ta vie : il la bénira
en ta préfence j tandis qu'a-
bandonnée à l'incertitude, l'im-
patience de fon retour défe-

* MelTager.

l.?an, * E



jo Lettres d'une

chera mon fang dans mes vei-
nes. O mon cher Aza ! tous
les tourmens des âmes ten-
dres font raflemblés dans mon
cœur : un moment de ta vue
les difliperoit ; je donnerois
ma vie pour en jouir.




Péruvienne. t r



  Première version


LETTRE PREMI
ÉRE.


Aza
! mon cher Aza ! les cris de ta tendre Zilia, tels quune vapeur du matin, sexhalent & sont dissipés avant darriver jusqu’à toi ; en vain je tappelle à mon secours ; en vain jattens que ton amour vienne briser les chaînes de mon esclavage : hélas ! peut-être les malheurs que j’ignore sont-ils les plus affreux ! peut-être tes maux surpassent-ils les miens !

La ville du Soleil
, livrée à la fureur dune Nation barbare, devroit faire couler mes larmes ; mais ma douleur, mes craintes, mon désespoir, ne sont que pour toi.

Qu’
as-tu fait dans ce tumulte affreux, chere ame de ma vie ? Ton courage ta-t-il été funeste ou inutile ? Cruelle alternative ! mortelle inquiétude ! ô, mon cher Aza ! que tes jours soient sauvés, & que je succombe, s’il le faut, sous les maux qui m’accablent !

Depuis le moment terrible
(qui auroit dû être arraché de la chaîne du tems, & replongé dans les idées éternelles) depuis le moment dhorreur où ces Sauvages impies mont enlevée au culte du Soleil, à moi-même, à ton amour ; retenue dans une étroite captivité, privée de toute communication, ignorant la Langue de ces hommes féroces, je n’éprouve que les effets du malheur, sans pouvoir en découvrir la cause. Plongée dans un abîme d’obscurité, mes jours sont semblables aux nuits les plus effrayantes.

Loin d
être touchés de mes plaintes, mes ravisseurs ne le sont pas même de mes larmes ; sourds à mon langage, ils n’entendent pas mieux les cris de mon désespoir.

Quel e
st le peuple assez féroce pour n’être point émû aux signes de la douleur ? Quel desert aride a vû naître des humains insensibles à la voix de la nature gémissante ? Les Barbares ! Maîtres Dyalpor [1] fiers de la puissance dexterminer, la cruauté est le seul guide de leurs actions. Aza ! comment échapperas-tu à leur fureur ? où es-tu ? que fais-tu ? si ma vie t’est chere, instruis-moi de ta destinée.

Hélas ! que la mienne e
st changée ! comment se peut-il, que des jours si semblables entr’eux, ayent par rapport à nous de si funestes différences ? Le tems sécoule ; les tén�bres succédent à la lumiere ; aucun dérangement ne sapperçoit dans la nature ; & moi, du suprême bonheur, je suis tombée dans lhorreur du désespoir, sans quaucun intervalle m’ait préparée à cet affreux passage.

Tu le
sçais, ô délices de mon cœur ! ce jour horrible, ce jour à jamais épouvantable, devoit éclairer le triomphe de notre union. À peine commençoit-il à paroître, quimpatiente d’exécuter un projet que ma tendresse m’avoit inspiré pendant la nuit, je courus à mes Quipos [2] & profitant du silence qui régnoit encore dans le Temple, je me hâtai de les nouer, dans l’espérance qu’avec leur secours je rendrois immortelle l’histoire de notre amour & de notre bonheur.

À mes
ure que je travaillois, l’entreprise me paroissoit moins difficile ; de moment en moment cet amas innombrable de cordons devenoit sous mes doigts une peinture fidelle de nos actions & de nos sentimens, comme il étoit autrefois l’interprête de nos pensées, pendant les longs intervalles que nous passions sans nous voir.

Toute enti
ere à mon occupation, j’oubliois le tems, lorsqu’un bruit confus réveilla mes esprits & fit tressaillir mon cœur.

Je crus que le moment heu
reux étoit arrivé, & que les cent portes [3] s’ouvroient pour laisser un libre passage au soleil de mes jours ; je cachai précipitamment mes Quipos sous un pan de ma robbe, & je courus au-devant de tes pas.

Mais quel horrible
spectacle s’offrit à mes yeux ! Jamais son souvenir affreux ne s’effacera de ma mémoire.

Les pavés du Temple en
sanglantés ; l’image du Soleil foulée aux pieds ; nos Vierges éperduës, fuyant devant une troupe de soldats furieux qui massacroient tout ce qui s’opposoit à leur passage ; nos Mamas [4] expirantes sous leurs coups, dont les habits brûloient encore du feu de leur tonnerre ; les gémissemens de l’épouvante, les cris de la fureur répandant de toute part l’horreur & leffroi, m’ôterent jusqu’au sentiment de mon malheur.

Revenue à moi-même, je
me trouvai, (par un mouvement naturel & presque involontaire) rangée derriere l’autel que je tenois embrassé. Là, je voyois passer ces barbares ; je n’osois donner un libre cours à ma respiration, je craignois qu’elle ne me coûtât la vie. Je remarquai cependant qu’ils ralentissoient les effets de leur cruauté à la vue des ornemens précieux répandus dans le Temple ; qu’ils se saisissoient de ceux dont léclat les frappoit davantage ; & qu’ils arrachoient jusqu’aux lames d’or dont les murs étoient revêtus. Je jugeai que le larcin étoit le motif de leur barbarie, & que pour éviter la mort, je n’avois qu’à me dérober à leurs regards. Je formai le dessein de sortir du Temple, de me faire conduire à ton Palais, de demander au Capa Inca [5] du secours & un azile pour mes Compagnes & pour moi ; mais aux premiers mouvemens que je fis pour méloigner, je me sentis arrêter : ô, mon cher Aza, j’en frémis encore ! ces impies oserent porter leurs mains sacriléges sur la fille du Soleil.

Arrachée de la demeure
sacrée, traînée ignominieusement hors du Temple, j’ai vû pour la premiere fois le seüil de la porte Céleste que je ne devois passer quavec les ornemens de la Royauté [6] ; au lieu de fleurs qui auroient été semées sous mes pas, j’ai vû les chemins couverts de sang & de carnage ; au lieu des honneurs du Trône que je devois partager avec toi, esclave sous les loix de la tyrannie, enfermée dans une obscure prison ; la place que j’occupe dans lunivers est bornée à l’étendue de mon être. Une natte baignée de mes pleurs reçoit mon corps fatigué par les tourmens de mon ame ; mais, cher soutien de ma vie, que tant de maux me seront legers, si j’apprends que tu respires !

Au milieu de cet horrible
bouleversement, je ne sçais par quel heureux hazard jai conservé mes Quipos. Je les posséde, mon cher Aza, c’est le trésor de mon cœur, puisqu’il servira dinterprête à ton amour comme au mien ; les mêmes nœuds qui t’apprendront mon existence, en changeant de forme entre tes mains, m’instruiront de mon sort. Hélas ! par quelle voie pourrai-je les faire passer jusqu’à toi ? Par quelle adresse pourront-ils m’être rendus ? Je l’ignore encore ; mais le même sentiment qui nous fit inventer leur usage, nous suggerera les moyens de tromper nos tyrans. Quel que soit le Chaqui [7] fidéle qui te portera ce précieux dépôt, je ne cesserai d’envier son bonheur. Il te verra, mon cher Aza ; je donnerois tous les jours que le Soleil me destine pour jouir un seul moment de ta présence.


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