Deuxième version


LETTRE VINGT
^SEPT.

E P u I S
que je fçais mes
Lettres en chemin, mon
cher Aza, je jouis d'une tran-
quilU
té que je ne connoifTois
plus. Je penfe fans ceiTe au
plaif
ir que tu auras à les rece-
voir
, je vois tes tranfports , je
les partage, mon ame ne re-
çoit de toute part que des idées
agréables, & pour comble de
joie, la paix efl rétablie dans
notre petite fociété.

Les Juges ont rendu à Cé
-
line les biens dont fa mère i'a-
vc
it privée. Elle voit fon amant
tous les jours , fon mariage
n'ef
t retardé que par les apr��ts



Péruvienne. 269



qui y font néceffaires. Au
comble de fes vœux , elle ne
penf
e plus à me quereller , &
je lui en ai autant d^obligation
que f
i je devois à fon amitié
les bontés qu'elle recommence
à me témoigner. Quel qu'en
f
oit le motif, nous fommes tou-
jours redevables à ceux qui
nous font éprouver un fenti-
ment doux.

Ce matin elle m
^en a fait
f
entir tout le prix , par une
complaifance qui m'a fait paf-
fer d'
un trouble fâcheux à une
tranquillité agréable.

On lui a apporté une quan
-
tité prodigieufe d'étoffes, d ha-
bits
, de bijoux de toutes efpé-
ces ; elle efl accourue dans ma
chambre, m'a emmenée dans

Z iij



270 Lettres d'une

la l
ienne , &c après m'avoir
conf
ultée fur les différentes
beautés de tant d^ajurtemens ^
elle a fait elle-même un tas
de ce qui avoit le plus attiré
mon attention , &c d'un air
emprcff
é elle commandoit déjà
à nos Chinas de le porter chez
moi
, quand je m'y fuis oppo-
f
ée de toutes mes forces. Mes
inf
tances n'ont d'abord fervi
qu'
à la divertir; mais voyant
que f
on obftination augmen-
toit avec mes refus , je n'ai pu
dijfT
imuler davantage mon ref-
f
entiment.

Pourquoi
, lui ai-je dit les
yeux baignés de larmes , pour-
quoi voulez-vous m'humilier
plus que je ne le fuis ? Je vous
dois la vie, ôc tout ce que j ai^



Péruvienne. 271

c^cf
t plus qu'il n'en faut pour
ne point oublier mes malheurs.
Je f
çais que lon vos Loix ,
quand les bienfaits ne font
d'
aucune utilité à ceux qui les
reçoivent, la honte en eft ef-
facée. Attendez -donc que je
n'
en aye plus aucun befoin
pour exercer votre générofité.
Ce n'efi:
pas fans répugnance,
ajoutai-je d'un ton plus mo-
déré 5
que je me conforme à
des f
entimens fi peu naturels.
Nosuf
ages font plus humains,
celui qui reçoit s'honore au-
tant que celui qui donne , vous
m'
avez appris à penfer autre-
ment , n'
étoit-ce donc que pour
me faire des outrages ?

Cette aimable amie plus tou
-
chée de mes larmes qu'irritée

Z iii]



1J1 Lettres d'une

de mes reproches , m'a répon-
du d'
un ton d'amitié , nous
l
ommes bien éloignés mon fre*
ix Se ni
oi, ma chère ZiHa, de
vouloir bleffer votre déHca-
teffe
, il nous fiéroit mal de
faire les magnifiques avec
vous
, vous le connoîtrez dans
peu
; je voulois feulement que
vous partagcalTiez avec miOi les
préf
ens d'un frère généreux;
c'
étoit le plus sûr moyen de
lui en marquer ma reconnoif-
f
ance : l'ufage dans le cas où
je f
uis, m'autorifoit à vous les
offrir y mais puifque vous en
êtes offenfée, je ne vous en
parlerai plus. Vous me le pro-
mettez donc ? lui ai-je dit. Oui ,
m'a-t'
elle répondu en fous-
riant , mais permettez-moi d'é-
crire un mot à Déterville»



Péruvienne. 275



Je l
'ai lailîe faire, &c la gaye-
té s'eft rétablie entre nous ,
nous avons recommencé à exa-
miner fcs parures plus en dé-
tail, jufqu'au tems où on la
demandée au Parloir : elle vou-
loir m^
y mener; mais, mon
cher Aza , eft-il pour moi quel-
ques amufem.ens comparables
à celui de t'écrire ! Loin d'en
chercher d'autre , j'appréhen-
d
e ceux que le marie mariage de Cé-
line
me prépare.

E
lle prétend que je quitte la
Maif
on Religieufe , pour de-
meurer dans la fienne quand
elle fera mariée j
mais fi j'en

f
uis crue

Aza
, mon cher Aza , par quel-
le agréable furprife ma Lettre
fut-elle hier interrompue ? hé*



274 Lettres d'une

las ! je croiois avoir perdu pour
jamais ces précieux monumens
de notre ancienne fplendeur,
je n'
y comptois plus , je n'y
penf
ois même pas, j'en fuis en-
vironnée , je les vois , je les tou-
che 5 &c j'
en crois à peine mes
yeux & mes mains.

Au moment où je t
'écrivois ,
je vis entrer Céline fuivie de
quatre homrnes accablés fous
le poids de gros coffres qu'ils
portoient; ils les poferent à
terre &c fe retirèrent; je penfai
que ce pouvoit être de nou-
veaux dons de Déterville. Je
mur mu
rois déjà en lecret , lorf-
que Céline me dit , en me pré-
fc
ntant des clefs: ouvrez, Zi-
lia
, ouvrez fans vous effarou-
cher , c'cxl
de la part d'Aza. Je



Péruvienne. 275

le crus. A ton nom eft-il rien
qui puifle arrêter mon empref-
f
ement. J'ouvris avec précipi-
tation , & ma furprife confir-
ma mon erreur, en reconnoif-
f
ant tout ce qui s'offrit à ma
vue pour des orncmens du
Temple du Soleil.

Un
fentiment confus, mclé
de trifteffe & de joie , de plai-
f
ir & de regret, remplit tout
mon cœur. Je me profternai
devant ces reftes facrés de no-
tre culte & de nos Autels j je
les couvris de refpectueux bai-
f
ers, je les arrofai de mes lar-
mes, je ne pouvois m'en arra-
cher, j'avois oublié jufquà la
préf
ence de Céline ; elle me tira
de mon yvreffe, en me don-
nant une Lettre qu'elle me pria
de lire.



^y6 Lettres d'une


Toujours remplie de mon

erreur, je la crus de toi, mes
tranf
ports redoublèrent ; mais
quoique je la déchifraffe avec
peine, je connus bien-tôt qu'elle
étoit de Déterville.

Il me fera plus ai
, mon
cher Aza, de te la copier, que
de t'
en expliquer le fens.



Péruvienne. lyj


Billet de Déterville.


:))
Ces tréfors font a vous ,
»
belle Zilia , puifque je les ai
>5
trouvés fur le VaifTeau qui
»
vous portoit. Quelques dif-
5) cuflî
ons arrivées entre les
3)
gens de PEquipage m'ont
>)
empêché jufqu'ici d'en dif-
» pof
er librement. Je voulois
3)
vous les préfenter moi-mê-
5:) mx
, mais les inquiétudes que
3)
vous avez témoignées ce ma-
5)
tin à ma fœur, ne me laif-
3) f
ent plus le choix du mo-
>:)
ment. Je ne fçaurois trop
3)
tôt diiper vos craintes, je
»
préférerai toute m. a vie votre
5) f
atisfaétion à la mienne.

Je
Pavoue en rougifTant ,



278 Lettres d'une



mon cher Aza , je fcntis moins
alors la géncroiité de Déter-
villc
, que le plaifir de lui don-
ner des preuves de la mienne.

Je mis prompt
cment à part
un vafe , que le hazard plus
que la cupidité a fait tomber
dans les mains des Efpagnols.
C'ell
le même , mon cœur Ta
reconnu , que tes Icvres tou-
chè
rent le jour où tu voulus
bien goûter du Aca ^ préparé
de ma main. Plus riche de ce
tréf
or que de tous ceux qu'on
me rendoit, j'appellai les gens
qui les avoient apportés j je
voulois les leur faire repren-
dre pour les renvoyer à Déter-
villej mais Céline s'oppofa à
mon deffein.

* JBoiilon des Indiens.



Péruvienne. 275^


Que vous êtes inju
fte , Zilia ,
me dit-elle ! Quoi ! vous vou-
lez faire accepter des richeiîes
immenfes à mon frère , vous
que Pofïre d^
une bagatelle of-
fenf
e ; rappeliez votre équité
f
i vous voulez en infpirer aux
autres.

Ces paroles me frapp
èrent.
Je craignis qu'il n'y eut'
dans
mon aélion plus d'orgueil Se
de vengeance que de généro-
té. Que les vices font près des
vertus! J'avouai ma faute, j'en
demandai pardon à Céline ;
mais je fouffrois trop de la con-
trainte qu'elle vouloit m'impo-
f
er pour n'y pas chercher de
r
adouciffement. Ne me punif-
f
ez pas autant que je le mérite,
lui dis-je d'un air tim.ide, ne



28o Lettres d'une

dédaignez pas quelques modè-
les du travail de nos malheu-
reuf
es contrées ; vous n'en avez
aucun bcfoin , ma prière ne
doit point vous offenfer.

Tandis que je parlois
, je re-
marquai que Céline regardoit
attentiveinent deux Arbuftes
d'
or chargés d'oifeaux &: d'in-
f
ectes d'un travail excellent,*
je me hâtai de les lui prélenter
avec une petite corbeille d'ar-
gent
, que je remplis de Coquil-
lages de Poifïbns & de fleurs
les mieux imitées : elle les ac-
cepta avec une bonté qui me
ravit.

Je choi
fis enfuite plufieurs
Idoles des nations vaincues *

* Les Incas falfoicnc dépofer dans le
Tcinplc du Soleil les Idoles des peuples

par



Péruvienne. 281

par tes ancctrcs , &c une petite
Statue ''*'' qui reprélentoit une
Vierge du Soleil , j'y joignis
un T
igre, un Lion &c d'autres
A
nimaux courageux, & je la
priai de les envoyer à Dcter-
ville. Ecrivez -lui donc, me
dit-elle, en fouriant, fans une
Lettre de votre part, les pré-
fens f
eroient mal reçus.

J'
étois trop fatisfaite pour
rien refufer , j'écrivis tout ce
que me dicta ma reconnoiffan-
ce, 8c lorf
que Céline fut for-



qu'ils foumettoîent , après leur avoir faic
accepter le cuire du Soleil. Ils en avoicnt
cux-mém^s , pulfqus l'inca HH,y>î(i con-
sulta l'Idole de Rimace. HiJlo:re des Incyii
Tom. 1. ^ag. 350.

* Les Incas ornoient leurs maifons de
Statues d'or de toute grandeur , &: même
de gigantef
L ?Art. '^ A a



282 Lettres d'une



tie
, je diftribuai des petits pré-
f
ens à fa China ^ & à la mienne >
j'
en mis à part pour mon Maî-
tre à écrire. Je goûtai enfin le
délicieux plaifir de donner.

Ce
ft'a pas été fans choix,
mon cher Aza y tout ce qui
vient de toi, tout ce qui a des
rapports intimes avec ton fou-
venir, n'eft point forti de mes
mains.

La chai
fe d'or * que Pon con-
conf
ervoit dans le Temple
pour le jour des vifites du Capa-
Inca ton augufte Père , placée
d
un côté de ma chambre en
forme de trône, me repréfente
ta grandeur & la majefté de

* Les Incas ne s'alToyenc que fur des
fîcgcs d'or mafîif.



Péruvienne. 285

ton rang. La grande figure du
Soleil, que je vis moi-même
arracher du Temple par les
perfides Efpagnols, fufpendue
au-deiïus, excire ma vénéra-
tion, je me proderne devant
elle, mon efprit Padore , &
mon cœur eil tout à toi. Les
deux Palmiers que tu donnas
au Soleil pour offrande Se pour
gage de la foi que tu m'avois
jurée, placés aux deux côtés
du t
rône, me rappellent fans
cefT
e tes tendres fermens.
Des fleurs
, ^ des oifeaux ré-



* On a déjà dit ''que les jardins du Tem-
ple & ceux des Maifons Royales e'toienî
lerapHs de toutes fortes d'imitations en or
& en
argent. Les Péruviens imitoient juf-
qu à l'herbe appelle'e Mays , dont ils £i^i-
foient des chamos tout entiers.



284 Lettres d'une

f)
andus avec fimétrie dans tous
es coins de ma chambre, for-
ment en racourci l'image de
ces magnifiques jardins, où je
me fuis fi f
ouvent entretenue
de ton idée. Mes yeux fatis-
faits ne s'arrêtent nulle par*-
f
ans me rappeller ton amour 5.
ma joie y mon bonheur, enfin
tout ce qui fera jamais la vie
de ma vie.

Fin de la Première Partie,


  Première version


LETTRE VINGT
-SEPT.


DEpuis
que je sçais mes Lettres en chemin, mon cher Aza, je jouis dune tranquillité que je ne connoissois plus. Je pense sans cesse au plaisir que tu auras à les recevoir, je vois tes transports, je les partage, mon ame ne reçoit de toute part que des idées agréables, & pour comble de joie, la paix est rétablie dans notre petite société.

Les Juges ont rendu à Cé
line les biens dont sa mere l’avoit privée. Elle voit son amant tous les jours, son mariage n’est retardé que par les apr��ts qui y sont nécessaires. Au comble de ses vœux elle ne pense plus à me quereller, & je lui en ai autant dobligation que si je devois à son amitié les bontés quelle recommence à me témoigner. Quel qu’en soit le motif, nous sommes toujours redevables à ceux qui nous font éprouver un sentiment doux.

Ce matin elle m
en a fait sentir tout le prix par une complaisance qui ma fait passer d’un trouble fâcheux à une tranquillité agréable.

On lui a apporté une quan
tité prodigieuse d’étoffes, d’habits, de bijoux de toutes espéces ; elle est accourue dans ma chambre, ma emmenée dans la sienne, & après mavoir consultée sur les différentes beautés de tant d’ajustemens, elle a fait elle-même un tas de ce qui avoit le plus attiré mon attention, & d’un air empressé elle commandoit déjà à nos Chinas de le porter chez moi, quand je m’y suis opposée de toutes mes forces. Mes instances nont dabord servi qu’à la divertir ; mais voyant que son obstination augmentoit avec mes refus, je nai pu dissimuler davantage mon ressentiment.

Pourquoi
(lui ai-je dit les yeux baignés de larmes) pourquoi voulez-vous mhumilier plus que je ne le suis ? Je vous dois la vie, & tout ce que j’ai, c’est plus qu’il n’en faut pour ne point oublier mes malheurs. Je sçais que selon vos Loix, quand les bienfaits ne sont d’aucune utilité à ceux qui les reçoivent, la honte en est effacée. Attendez donc que je n’en aye plus aucun besoin pour exercer votre générosité. Ce n’est pas sans répugnance, ajoutai-je dun ton plus moderé, que je me conforme à des sentimens si peu naturels. Nos usages sont plus humains, celui qui reçoit shonore autant que celui qui donne, vous m’avez appris à penser autrement, n’étoit-ce donc que pour me faire des outrages ?

Cette aimable amie plus tou
chée de mes larmes quirritée de mes reproches, m’a répondu d’un ton damitié, nous sommes bien éloignés mon frere & moi, ma chere Zilia, de vouloir blesser votre délicatesse, il nous siéroit mal de faire les magnifiques avec vous, vous le connoîtrez dans peu ; je voulois seulement que vous partageassiez avec moi les présens dun frère généreux ; c’étoit le plus sûr moyen de lui en marquer ma reconnoissance : l’usage, dans le cas où je suis, mautorisoit à vous les offrir ; mais puisque vous en êtes offensée, je ne vous en parlerai plus. Vous me le promettez donc ? lui ai-je dit. Oui, m’a-t-elle répondu en souriant, mais permettez-moi d’écrire un mot à Déterville.

Je l
ai laissé faire, & la gaïeté s’est rétablie entre nous, nous avons recommencé à examiner ses parures plus en détail, jusqu’au tems où on l’a demandée au Parloir : elle vouloit m’y mener ; mais, mon cher Aza, est-il pour moi quelques amusemens comparables à celui de técrire ! Loin d’en chercher dautre, j’appréhende d’avance ceux que l’on me prépare.

Céline va s
e marier, elle prétend m’emmener avec elle, elle veut que je quitte la maison Religieuse pour demeurer dans la sienne ; mais si j’en suis crue

· · · · · · · · · · · · · · · ·
… Aza
, mon cher Aza, par quelle agréable surprise ma Lettre fut-elle hier interrompue ? hélas ! je croiois avoir perdu pour jamais ce précieux monument de notre ancienne splendeur, je n’y comptois plus, je n’y pensois même pas, j’en suis environnée, je les vois, je les touche, & j’en crois à peine mes yeux & mes mains.

Au moment où je t
écrivois, je vis entrer Céline suivie de quatre hommes accablés sous le poids de gros coffres qu’ils portoient ; ils les poserent à terre & se retirerent ; je pensai que ce pouvoit être de nouveaux dons de Déterville. Je murmurois déjà en secret, lorsque Céline me dit, en me présentant des clefs : ouvrez, Zilia, ouvrez sans vous effaroucher, c’est de la part d’Aza.

La vérité que j’attache inséparabl
ement à ton idée, ne me laissa point le moindre doute ; j’ouvris avec précipitation, & ma surprise confirma mon erreur, en reconnoissant tout ce qui soffrit à ma vue pour des ornemens du Temple du Soleil.

Un
sentiment confus, mêlé de tristesse & de joie, de plaisir & de regret, remplit tout mon cœur. Je me prosternai devant ces restes sacrés de notre culte & de nos Autels ; je les couvris de respectueux baisers, je les arrosai de mes larmes, je ne pouvois men arracher, javois oublié jusqu’à la présence de Céline ; elle me tira de mon yvresse, en me donnant une Lettre quelle me pria de lire.

Toujours remplie de mon
erreur, je la crus de toi, mes transports redoublerent ; mais quoique je la déchifrasse avec peine, je connus bientôt quelle étoit de Déterville.

Il me fera plus ai
, mon cher Aza, de te la copier, que de t’en expliquer le sens.

Billet de Déterville.

«
Ces trésors sont à vous, belle Zilia, puisque je les ai trouvés sur le Vaisseau qui vous portoit. Quelques discussions arrivées entre les gens de l’Équipage m’ont empêché jusqu’ici den disposer librement. Je voulois vous les présenter moi-même, mais les inquiétudes que vous avez témoignées ce matin à ma sœur, ne me laissent plus le choix du moment. Je ne sçaurois trop tôt dissiper vos craintes, je préférerai toute ma vie votre satisfaction à la mienne. »

Je
l’avoue en rougissant, mon cher Aza, je sentis moins alors la générosité de Déterville, que le plaisir de lui donner des preuves de la mienne.

Je mis prompt
ement à part un vase, que le hazard plus que la cupidité a fait tomber dans les mains des Espagnols. C’est le même (mon cœur l’a reconnu) que tes vres toucherent le jour ou tu voulus bien goûter du Aca [41] préparé de ma main. Plus riche de ce trésor que de tous ceux qu’on me rendoit, jappellai les gens qui les avoient apportés ; je voulois les leur faire reprendre pour les renvoyer à Déterville ; mais Céline s’opposa à mon dessein.

Que vous êtes inju
ste, Zilia, me dit-elle ! Quoi ! vous voulez faire accepter des richesses immenses à mon frère, vous que l’offre d’une bagatelle offense ; rappellez votre équité si vous voulez en inspirer aux autres.

Ces paroles me frapp
erent. Je reconnus dans mon action plus dorgueil & de vengeance que de générosité. Que les vices sont près des vertus ! J’avouai ma faute, j’en demandai pardon à Céline ; mais je souffrois trop de la contrainte quelle vouloit m’imposer pour ny pas chercher de l’adoucissement. Ne me punissez pas autant que je le mérite, lui dis-je dun air timide, ne dédaignez pas quelques modèles du travail de nos malheureuses contrées ; vous nen avez aucun besoin, ma priere ne doit point vous offenser.

Tandis que je parlois
, je remarquai que Céline regardoit attentivement deux Arbustes d’or chargés d’oiseaux & d’insectes dun travail excellent ; je me hâtai de les lui présenter avec une petite corbeille dargent, que je remplis de Coquillages de Poissons & de fleurs les mieux imitées : elle les accepta avec une bonté qui me ravit.

Je choi
sis ensuite plusieurs Idoles des nations vaincues [42] par tes ancêtres, & une petite Statue [43] qui représentoit une Vierge du Soleil, j’y joignis un tigre, un lion & d’autres animaux courageux, & je la priai de les envoyer à Déterville. Écrivez-lui donc, me dit-elle, en souriant, sans une Lettre de votre part, les présens seroient mal reçus.

J’
étois trop satisfaite pour rien refuser, j’écrivis tout ce que me dicta ma reconnoissance, & lorsque Céline fut sortie, je distribuai des petits présens à sa China, & à la mienne, j’en mis à part pour mon Maître à écrire. Je goûtai enfin le délicieux plaisir de donner.

Ce
n’a pas été sans choix, mon cher Aza ; tout ce qui vient de toi, tout ce qui a des rapports intimes avec ton souvenir, n’est point sorti de mes mains.

La chai
se d’or [44] que l’on conservoit dans le Temple, pour le jour des visites du Capa-Inca ton auguste pere, placée d’un côté de ma chambre en forme de trône, me représente ta grandeur & la majesté de ton rang. La grande figure du Soleil, que je vis moi-même arracher du Temple par les perfides Espagnols, suspendue au-dessus excite ma vénération, je me prosterne devant elle, mon esprit l’adore, & mon cœur est tout à toi.

Les
deux palmiers que tu donnas au Soleil pour offrande & pour gage de la foi que tu mavois jurée, placés aux deux côtés du Trône, me rappellent sans cesse tes tendres sermens.

Des fleurs
 [45], des oiseaux répandus avec simétrie dans tous les coins de ma chambre, forment en racourci limage de ces magnifiques jardins, où je me suis si souvent entretenue de ton idée.

Mes yeux satisfaits ne sarrêtent nulle part sans me rappeller ton amour, ma joie, mon bonheur, enfin tout ce qui fera jamais la vie de ma vie.


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