Deuxième version


LETTRE TRENTE-
CINQ:

N

Os visites & nos fatigues, mon cher Aza, ne pou-

voient le terminer plus agréablement. Quelle journée délicieuse j'ai passé hier ! Combien les nouvelles obligations que j'ai à Déterville & à sa sœur me font agréables ! Mais combien elles me feront cheres, quand je pourrai les partager avec toi !

Après deux jours de repos, nous partimes hier matin de Paris, Céline, son frere, son mari & moi, pour aller, di
foitelle, rendre une visite à la meilleure de ses amies Le voyage

ne fut pas long, nous arrivâmes de très-bonne heure à une maison de campagne, dont la situation Se les approches me parurent admirables; mais ce qui mitonna en y entrant, fut d'en trouver toutes les portes ouvertes, & de n'y rencon trer personne.

Cette maison trop belle pou
être abandonnée , trop petit pour cacher le monde qui au roit dû l'habiter, me paroifloi un enchantement. Cette pensé me divertit ; je demandai à Ce line si nous étions chez une d< ces Fées dont elle m'avoit fai lire les histoires , où la maî tresse du logis étoit invisible ainsi que les domestiques.

Vous la verrez, me répondi


elle, mais comme des affaires importantes l'appellent ailleurs pour toute la journée, elle m'a chargée de vous engager à faire les honneurs de chez elle pendant son absence. Mais avant toutes choses, ajouta-t'elle, il faut que vous flgniez le consentement que vous donnez , sans doute , à cette proportion ; ah ! volontiers, lui disje, en me prêtant à la plaisanterie.

Je n
'eus pas plûtôt prononcé ces paroles, que je vis entrer un homme vetu de noir, qui tenoit une écritoire & du papier , déjà écrit ; il me le présenta, & j'y plaçai mon nom où l'on voulut.

Dans l
'instant même, parut

un autre homme d'afiez bonne mine, qui nous invita fclon la coûtume, de palier avec lui dans l'endroit où l'on mange.

Nous y trouvâmes une table servie avec autant de propreté que de magnificence
; à peine tions-nous assis, qu'une musique charmante se fit entendre dans la chambre voisine; rien ne manquoit de tout ce qui peut rendre un repas agréable. Dcterville même sembloit avoir oublié son chagrin pour nous exciter à la joie, il me parloit en mille manieres de ses fcntimens pour moi, mais toujours d'un ton flateur, sans plaintes ni reproches.

Le jour étoit serein ; d
'un commun accord nous réfolu-

mes de nous promener en sortant de table. Nous trouvâmes les jardins beaucoup plus étendus que la maison ne fcmbloit le promettre. L'art & la simétrie ne s'y faisoient admirer que pour rendre plus touchans les charmes de la fimplc nature.

Nous bornâmes notre course dans un bois qui termine ce beau jardin ; assis tous quatre sur un gazon délicieux, nous
vîmes venir à nous d'un côté une troupe de paysans vêtus proprement à leur maniere, précédés de quelques instrumens de musique, & de l'autre une troupe de jeunes filles vêtues de blanc, la tête ornée de fleurs champêtres , qui chan-

toient d'une façon ruilique, mais mélodieuse, des chansons, où j'entendis avec surprise, que mon nom étoit fou, * , vent répété.

Mon étonnement fut bien plus fort, lorsque les deux troupes nous ayant jointes, je vis
1 homme le plus apparent, quitter la sienne, mettre un genouil en terre, & me présenter dans un grand bamn plusieurs clefs avec un compliment, que mon trouble m'empêcha de bien entendre ; je com pris feulement, qu'étant le chef des Villageois de la Contrée , il venoit me rendre hommage en qualité de leur Souveraine, & me présenter les clefs de la maison dont j'étois aussi la maîtresse.

Dès qu
'il eut fini sa harantic, il le leva pour faire place a la plus jolie d entre les jeunes filles. Elle vint me préfcnter une gerbe de fleurs, ornée de rubans, qu'elle accompagna aussi d'un petit discours à ma louange, dont elle s'acquitta de bonne grâce.

J
'étois trop confuse, mon cher Aza, pour répondre à des éloges que je méritois si peu ; d'ailleurs tout ce qui se passoit, avoit un ton si approchant de celui de la vérité, que dans bien des momens, je ne pouvois me défendre de croire, ce que néanmoins, je trouvois , incroyable. Cette pensée en produiut une infinité d'autres : mon esprit étoit tellement oc-

cupé, qu'il me fut impoflible de proférer une parole: si ma confusion étoit divertiflante pour la compagnie, elle * étoit si embarrassante pour moi, que Déterville en fut touché ; il fit un ligne à sa sœur, elle fc leva après avoir donné quelques pi�ces d'or aux paysans & aux jeunes filles, en leur disant, que c'étoit les prémices de mes bontés pour eux, elle me proposa de faire un tour de promenade dans le bois, je la fuivis avec plaisir, comptant bien lui faire des reproches de l'em barras où elle m'avoit mise mais je n'en eus pas le tems. A peine avions-nous fait quelque pas, qu'elle s'arrêta & me regardant avec une mine riante

avouez, Zilia, me dit-elle, que vous êtes bien fâchée contre nous, &c que vous le ferez bien davantage, si je vous dis, qu'il ea très-vrai que cette terre & cette maison vous appartiennent.

A moi, m'écriai-je ! ah Céline! Est-ce là ce que vous m aviez promis ? Vous pouffez trop loin l'outrage, ou la plaisanterie. Attendez, me dit-elle, plus férieufcment, si mon frere avoit disposé de quelques parties de vos trésors pour en faire l'acquisition, & qu'au lieu des ennuieufes formalités, dont il s'est chargé , il ne vous eûc reservé que la surprise, nous haïriez-vous bien fort? Ne pourriez-vous nous pardonner

de vous avoir procuré, à tout événement, une demeure telle que vous avez paru l'aimer, éc de vous avoir assurée une vie indépendante ? Vous avez figné ce matin l'acte autentique qui vous met en possession de l'une & l'autre. Grondez-nous à présent tant qu'il vous plaira , ajouta - t'elle en riant, si rien de tout cela ne vous est agréable.

Ah, mon aimable amie ! m
'é.

criai-je, en me jettant dans ses bras. Je sens trop vivement des foins si généreux pour vous ex.

primer ma reconnoissance; il ne me fut possible de prononcer que ce peu de mots ; j'avois senti d'abord l'importance d'un tel service. Touchée, at-

tend
rie, tranfportce de joie en pensant au plaisir que j'aurois a te consacrer cette charmante demeure ; la multitude de mes sentimens en étouffoit l'expres.

fioii
. Je faisois à Céline des caresses qu'elle me rendoit avec la même tendresse ; & après m'avoir donné le tems de me remettre, nous allâmes retrouver son frere & ion mari.

Un nouveau trouble me saisit en abordant Déterville, & jetta un nouvel embarras dans mes expressions
; ie lui tendis la main, il la baila sans proférer une parole, & se détourna pour cacher des larmes qu'il ne put retenir, & que je pris pour des signes de la satisfaction qu'il avoit de me voir si

contente ; j'en fus attendrie jusqu'à en verser aussi auelques-unes. Le * mari de Céline, moins intéressé que nous, à ce qui se palfoit, remit bientôt la conversation sur le ton de plaisanterie ; il me fit des complifnens sur ma nouvelle dignité, & nous engagea a retourner à la maison pour en examiner, disoit-il, les défauts , & faire voir à Déterville que son goût n'étoit pas aussi sur qu'il s'en flattoit.

Te l
'avouerai-je, mon cher Aza, tout ce qui s'offrit à mon passage me parut prendre une nouvelle forme ; les fleurs me sembloient plus belles, les arbres plus verds, la fimétrie des jardins mieux ordonnée.

Je trouvai la mai
ion plus riante, les meubles plus riches, les moindres bagatelles m'étoient devenues interetTantes.

Je parcourus les appart
cmens dans une yvresse de joie, qui ne me permettoit pas de rien examiner; le fcul endroit où je m'arrêtai, fut dans une assez grande chambre entourée d un grillage d'or, lég�rement travaillé, qui renfcrmoit une infinité de Livres de toutes couleurs, de toutes formes, & d'une propreté admirable ; j'étois dans un tel enchantement, que je croiois ne pouvoir les quitter sans les avoir tous lûs. Céline m'en arracha, en me faisant souvenir d'une clef d'or que Déterville m'a-

voit remise. Je m'en servis pour ouvrir précipitamment une porte que l'on me montra; & je restai immobile à la vue des , magnificences qu'elle renfermoit.

C
'était un cabinet tout brillant de glaces 6c de peintures : les lambris à fond verd, ornés de figures extrêmement bien dessinées, imitoient une partie des jeux & des cérémonies de la ville du Soleil, telles à peu près que je les avois dépeintes a Déterville.

On y voyoit nos Vierges représentées en mille endroits avec le même habillement que je portois en arrivant en France ; on disoit même qu
'elles me ressembloient.

Les


Les
ornemens du Temple ie j'avois laissés dans la Main Religieuse , soutenus par s Piramides dorées, ornoient us les coins de ce magnifique biner. La figure du Soleil fpendue au milieu d'un pland peint des plus belles couurs du ciel, achevoit par son lat d'embellir cette charman.

:
solitude : & des meubles mmodes assortis aux peintus la rendoient délicieuse.

Déterville profitant du silenc où me retenoient ma furrife, ma joie & mon admiraon, me dit en s'a pprochant e moi : vous pourrez vous ppercevoir, belle Zilia, que 1 Chaise d'Or ne se trouve oint dans ce nouveau Temple

du Soleil ;
un pouvoir magique l'a transformée en maison, en jardin, en terres. Si je n'ai pas employé ma propre science à cette métamorphose , ce n'a pas été sans regret, mais il a fallu respecter votre délicatesse; voici, me dit-il, en ouvrant une petite armoire, pratiquée adroitement dans le mur, voici les débris de l'opération magique. En même-tems il me fit voir une cassette remplie de pi�ces d'or à l'usage de France.

Ceci, vous le sçavez, continua-t'il, n'cft pas ce qui est le moins nécclfaire parmi nous, j'ai cru devoir vous en conserver une petite provision.

Je commençois à lui témoigner ma vive r
cconnoiffance,

k l'
admiration que me cauoient des foins u prévenans , uand Céline m'interrompit 8c n'entraîna dans une chambre i côté du merveilleux cabinet.

l
e veux aussi, me dit-elle, vous aire voir la puissance de mon rt. On ouvrit des grandes arnoires remplies d'étoffes admi.

ables, de linge, d'ajustemens.

nfin de tout ce qui est à l'usage es femmes, avec une telle i bondance, que je ne pûs m'cmpêcher d'en rire & de demaner à Céline, combien d'années elle vouloit que je vécusse pour employer tant de belles choses.

Autant que nous en vivrons non frere & moi, me répondit-elle : & moi, repris-jt, je déûic que vous viviez l'un Se

1
autre autant que je vous aimerai , Se vous ne mourrez pas les premiers. En achevant ces mots, nous retournâmes dans leTemple du Soleil, c'est ainsi qu'ils nommèrent le merveilleux Cabinet.

J'
eus enfin la liberté de parler, j'exprimai, comme je le sentois, les sentimens dont j'étois pénétrée. Quelle bonté ! Que de vertus dans les procédés du frere & de la sœur 1 Nous passâmes le reste du jour dans les délices de la confiance & de l'amitié ; je leur fis les honneurs du soupé encore plus gayement que je n'avois fait ceux du dîner. J'ordonnois librement à des domestiques que je avois être à moi ; je

i
dinois sur mon autorité & on opulence ; je 6s tout ce lui dépendoit de moi, pour ndre agréables à mes bieniteurs leurs propres bienits.

Je crus cependant m
'appervoir qu'à mesure que le tems écouloit, Dcterville retomit dans sa mélancolie , & ême qu'il échappoit de tems 1 tems des larmes à Céline ; ais l'un & l'autre reprenoient promptement un air serein , e je crus m'être trompée.

Je fis mes efforts pour les
gager à jouir quelques jours vec moi du bonheur qu'ils ie procuroient. Je ne ptîs obtenir; nous sommes reveus cette nuit, en nous pro-

mettant de retourner incessamment dans mon Palais enchanté.

0, mon cher Aza, quelle fera ma félicité, quand je pourrai l'habiter avec toi 1

  Première version


LETTRE TRENTE-
DEUX.


N
Os visites & nos fatigues, mon cher Aza, ne pouvoient se terminer plus agréablement. Quelle journée délicieuse jai passé hier ! combien les nouvelles obligations que jai à Déterville & à sa sœur me sont agréables ! mais combien elles me seront cheres, quand je pourrai les partager avec toi !

Après deux jours de repos, nous partimes hier matin de Paris, Céline, son frere, son mari & moi, pour aller, di
soit-elle, rendre une visite à la meilleure de ses amies. Le voyage ne fut pas long, nous arrivâmes de très-bonne heure à une maison de campagne dont la situation & les approches me parurent admirables ; mais ce qui m’étonna en y entrant, fut den trouver toutes les portes ouvertes, & de ny rencontrer personne.

Cette maison trop belle pou
r être abandonnée, trop petite pour cacher le monde qui auroit dû lhabiter, me paroissoit un enchantement. Cette pensée me divertit ; je demandai à Céline si nous étions chez une de ces Fées dont elle mavoit fait lire les histoires, où la maitresse du logis étoit invisible ainsi que les domestiques.

Vous la verrez, me répondi
t-elle, mais comme des affaires importantes lappellent ailleurs pour toute la journée, elle ma chargée de vous engager à faire les honneurs de chez elle pendant son absence. Alors, ajouta-t-elle en riant, voyons comment vous vous en tirerez ? J’entrai volontiers dans la plaisanterie ; je repris le ton sérieux pour copier les complimens que j’avois entendu faire en pareil cas, & l’on trouva que je m’en acquittai assez bien.

Après s’être amusée quelque tems de ce badinage, Céline me dit : tant de politesse suffiroit à Paris pour nous bien recevoir ; mais, Madam
e, il faut quelque chose de plus à la campagne, n’aurez-vous pas la bonté de nous donner à dîner ?

Ah ! sur cet article, lui dis-je, je n’en sçais pas assez pour vous satisfaire, & je commence à craindre pour moi-même que votre amie ne s’en soit trop rapportée à mes soins. Je sçais un remede
à cela, répondit Céline, si vous voulez seulement prendre la peine d’écrire votre nom, vous verrez qu’il n’est pas si difficile que vous le pensez, de bien régaler ses amies ; vous me rassurez, lui dis-je, allons, écrivons promptement.

Je n
eus pas plutôt prononcé ces paroles, que je vis entrer un homme vêtu de noir, qui tenoit une écritoire & du papier, déja écrit ; il me le présenta, & jy plaçai mon nom où lon voulut.

Dans l
instant même, parut un autre homme d’assez bonne mine, qui nous invita selon la coutume, de passer avec lui dans lendroit où lon mange.

Nous y trouvâmes une table servie avec autant de propreté que de magnificence
; à peine étions nous assis qu’une musique charmante se fit entendre dans la chambre voisine ; rien ne manquoit de tout ce qui peut rendre un repas agréable. Déterville même sembloit avoir oublié son chagrin pour nous exciter à la joie, il me parloit en mille manieres de ses sentimens pour moi, mais toujours dun ton flatteur, sans plaintes ni reproches.

Le jour étoit serein ; d
un commun accord nous résolûmes de nous promener en sortant de table. Nous trouvâmes les jardins beaucoup plus étendus que la maison ne sembloit le promettre. Lart & la simétrie ne sy faisoient admirer que pour rendre plus touchans les charmes de la simple nature.

Nous bornâmes notre course dans un bois qui termine ce beau jardin ; assis tous quatre sur un gazon délicieux, nous
commencions déjà à nous livrer à la rêverie qu’inspirent naturellement les beautés naturelles, quand à travers les arbres, nous vîmes venir à nous dun côté une troupe de paysans vêtus proprement à leur maniere, précédés de quelques instrumens de musique, & de lautre une troupe de jeunes filles vêtues de blanc, la tête ornée de fleurs champêtres, qui chantoient dune façon rustique, mais mélodieuse, des chansons, où jentendis avec surprise, que mon nom étoit souvent répété.

Mon étonnement fut bien plus fort, lorsque les deux troupes nous ayant jointes, je vis
l’homme le plus apparent, quitter la sienne, mettre un genouil en terre, & me présenter dans un grand bassin plusieurs clefs avec un compliment, que mon trouble mempêcha de bien entendre ; je compris seulement, quétant le chef des villageois de la Contrée, il venoit me faire hommage en qualité de leur Souveraine, & me présenter les clefs de la maison dont jétois aussi la maitresse.

Dès qu
il eut fini sa harangue, il se leva pour faire place à la plus jolie dentre les jeunes filles. Elle vint me présenter une gerbe de fleurs ornée de rubans, quelle accompagna aussi dun petit discours à ma louange, dont elle sacquita de bonne grace.

J
étois trop confuse, mon cher Aza, pour répondre à des éloges que je méritois si peu ; dailleurs tout ce qui se passoit, avoit un ton si approchant de celui de la vérité, que dans bien des momens, je ne pouvois me défendre de croire (ce que néanmoins) je trouvois incroiable : cette pensée en produisit une infinité dautres : mon esprit étoit tellement occupé, quil me fut impossible de proférer une parole : si ma confusion étoit divertissante pour sa compagnie, elle ne l’étoit guères pour moi.

Déterville fut le premier qui en fut touché ; il fit un signe à sa sœur, elle se leva après avoir donné quelques pi�ces dor aux païsans & aux jeunes filles, en leur disant (que cétoit les prémices de mes bontés pour eux) elle me proposa de faire un tour de promenade dans le bois, je la suivis avec plaisir, comptant bien lui faire des reproches de l’embarras où elle mavoit mise ; mais je nen eus pas le tems : à peine avions-nous fait quelques pas, quelle sarrêta & me regardant avec une mine riante : avouez, Zilia, me dit-elle, que vous êtes bien fâchée contre nous, & que vous le serez bien davantage, si je vous dis, qu’il est très vrai que cette terre & cette maison vous appartiennent.

À moi, mécriai-je ! ah Céline ! vous poussez trop loin loutrage, ou la plaisanterie. Attendez, me dit-elle plus sérieusement, si mon frère avoit disposé de quelques parties de vos trésors pour en faire lacquisition, & quau lieu des ennuieuses formalités, dont il sest chargé, il ne vous eût reservé que la surprise, nous haïriez-vous bien fort ? ne pourriez-vous nous pardonner de vous avoir procuré (à tout événement) une demeure telle que vous avez paru laimer, & de vous avoir assuré une vie indépendante ? Vous avez signé ce matin lacte authentique qui vous met en possession de lune & lautre. Grondez-nous à présent tant quil vous plaira, ajouta-t-elle en riant, si rien de tout cela ne vous est agréable.

Ah, mon aimable amie ! m
’écriai-je, en me jettant dans ses bras. Je sens trop vivement des soins si généreux pour vous exprimer ma reconnoissance ; il ne me fut possible de prononcer que ce peu de mots ; javois senti dabord limportance dun tel service. Touchée, attendrie, transportée de joie en pensant au plaisir que jaurois de te consacrer cette charmante demeure ; la multitude de mes sentimens en étouffoit lexpression. Je faisois à Céline des caresses quelle me rendoit avec la même tendresse ; & après mavoir donné le tems de me remettre, nous allâmes retrouver son frère & son mari.

Un nouveau trouble me saisit en abordant Déterville, & jetta un nouvel embarras dans mes expressions
; je lui tendis la main, il la baisa sans proférer une parole, & se détourna pour cacher des larmes quil ne put retenir, & que je pris pour des signes de la satisfaction quil avoit de me voir si contente ; jen fus attendrie jusquà en verser aussi quelques-unes. Le mari de Céline, moins intéressé que nous, à ce qui se passoit, remit bientôt la conversation sur le ton de plaisanterie ; il me fit des complimens sur ma nouvelle dignité, & nous engagea à retourner à la maison pour en examiner, disoit-il, les défauts, & faire voir à Déterville que son goût nétoit pas aussi sûr qu’il s’en flattoit.

Te l
avouerai-je, mon cher Aza, tout ce qui soffrit à mon passage me parut prendre une nouvelle forme ; les fleurs me sembloient plus belles, les arbres plus verds, la simétrie des jardins mieux ordonnée.

Je trouvai la mai
son plus riante, les meubles plus riches, les moindres bagatelles métoient devenues intéressantes.

Je parcourus les appart
emens dans une yvresse de joie, qui ne me permettoit pas de rien examiner ; le seul endroit où je marrêtai, fut dans une assez grande chambre entourée dun grillage dor, lég�rement travaillé, qui renfermoit une infinité de Livres de toutes couleurs, de toutes formes, & dune propreté admirable ; jétois dans un tel enchantement, que je croiois ne pouvoir les quitter sans les avoir tous lûs. Céline men arracha, en me faisant souvenir dune clef dor que Déterville m’avoit remise. Nous cherchâmes à l’employer, mais nos recherches auroient été inutiles, s’il ne nous eût montré la porte qu’elle devoit ouvrir, confondue avec art dans les lambris ; il étoit impossible de la découvrir sans en savoir le secret.

Je l’ouvris avec
précipitation, & je restai immobile à la vue des magnificences quelle renfermoit.

C
’étoit un cabinet tout brillant de glaces & de peintures : les lambris à fond verd, ornés de figures extrêmement bien dessinnées, imitoient une partie des jeux & des cérémonies de la ville du Soleil, telles à peu près que je les avois racontées à Déterville.

On y voyoit nos Vierges représentées en mille endroits avec le même habillement que je portois en arrivant en France ; on disoit même qu
elles me ressembloient.

Les
ornemens du Temple que j’avois laissés dans la maison Religieuse, soutenus par des Piramides dorées, ornoient tous les coins de ce magnifique cabinet. La figure du Soleil suspendue au milieu dun plafond peint des plus belles couleurs du ciel, achevoit par son éclat dembellir cette charmante solitude : & des meubles commodes assortis aux peintures la rendoient délicieuse.

En éxaminant de plus près ce que j’étois ravie de retrouver, je m’apperçus que la chaise d’or y manquoit : quoique je me gardasse bien d’en parler, Déterville me devina ; il saisit ce moment pour s’expliquer : vous cherchez inutilement, belle Zilia, me dit-il, par un pouvoir magique la chaise de l’Inca, s’est transformée en maison, en jardin, en terres. Si je nai pas employé ma propre science à cette métamorphose, ce na pas été sans regret, mais il a fallu respecter votre délicatesse ; voici, me dit-il, en ouvrant une petite armoire (pratiquée adroitement dans le mur,) voici les débris de lopération magique. En même-tems il me fit voir une cassette remplie de pi�ces dor à lusage de France. Ceci, vous le sçavez, continua-t-il, n’est pas ce qui est le moins nécessaire parmi nous, jai cru devoir vous en conserver une petite provision.

Je commençois à lui témoigner ma vive r
econnoissance & l’admiration que me causoient des soins si prévenans ; quand Céline minterrompit & m’entraîna dans une chambre à côté du merveilleux cabinet. Je veux aussi, me dit-elle, vous faire voir la puissance de mon art. On ouvrit de grandes armoires remplies détoffes admirables, de linge, dajustemens, enfin de tout ce qui est à lusage des femmes, avec une telle abondance, que je ne pûs m’empêcher den rire & de demander à Céline, combien dannées elle vouloit que je vécusse pour employer tant de belles choses. Autant que nous en vivrons mon frère & moi, me répondit-elle : & moi, repris-je, je desire que vous viviez l’un & l’autre autant que je vous aimerai, & vous ne mourrez assurément pas les premiers.

En achevant ces mots, nous retournâmes dans le Temple du Soleil (c’est ainsi quils nommerent le merveilleux Cabinet.) J’eus enfin la liberté de parler, jexprimai, comme je le sentois, les sentimens dont jétois pénétrée. Quelle bonté ! Que de vertus dans les procédés du frère & de la sœur !

Nous passâmes le reste du jour dans les délices de la confiance & de lamitié ; je leur fis les honneurs du soupé encore plus gaiement que je navois fait ceux du dîner. Jordonnois librement à des domestiques que je savois être à moi ; je badinois sur mon autorité & mon opulence ; je fis tout ce qui dépendoit de moi, pour rendre agréables à mes bienfaiteurs leurs propres bienfaits.

Je crus cependant m
appercevoir quà mesure que le tems s’écouloit, Déterville retomboit dans sa mélancolie, & même quil échappoit de tems en tems des larmes à Céline ; mais lun & lautre reprenoient si promptement un air serein, que je crus mêtre trompée.

Je fis mes efforts pour les
engager à jouir quelques jours avec moi du bonheur qu’ils me procuroient. Je ne pûs l’obtenir ; nous sommes revenus cette nuit, en nous promettant de retourner incessamment dans mon Palais enchanté.

Ô, mon cher Aza, quelle sera ma félicité, quand je pourrai lhabiter avec toi !


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