Deuxième version


LETTRE
QUARANTE.

R

ASSUREZ-VOUS
, trop généreux ami, je n'ai pas

voulu vous écrire que mes jours ne fuflènt en fureté, & que moins agitée, je ne pusse calmer vos inquiétudes. Je vis; le destin le veut, je me soumets à ses loix.

Les
foins de votre aimable sœur m'ont rendu la fanté, quelques retours de raison l'ont soutenue. La certitude que mon malheur est sans reméde a fait le refle. Je sçais qu'Aza est arrivé en Espagne, que son crime est consommé ; ma douleur n'est pas éteinte, mais la cause

n'
est plus digne de mes regrets; s'il en reste dans mon cœur, ils ne font dûs qu'aux peines que je vous ai causes, qua mes erreurs, qu'à l'égarement de ma raison.

Hélas
! a mesure qu'elle m'éclaire , je découvre ion impuissance, que peut-elle sur une ame délolée ? L'excès de la douleur nous rend la foiblesse de notre premier âge. Ainsi que dans l'enfance, les objets seuls ont du pouvoir sur nous ; il semble que la vûe foit le seul de nos lens qui ait une communication intime avec notre ame. J'en ai fait une cruelle expérience.

En sortant de la longue & accablante léthargie où me


plongea le départ d'Aza, le premier désir que m'inspira la nature fut de me retirer dans la solitude que je dois à votre prévoyante bonté : ce ne fut pas sans peine que j'obtins de Céline la permission de m'y faire conduire; j'y trouve des secours contre le désespoir que le monde & l'amitie même ne m'auroient jamais fournis.

Dans la maison de votre sœur ses discours confolans ne pouvoient prévaloir sur les objets qui me retraçoient sans cesse la perfidie d'Aza.

La porte par laquelle Céline
ramena dans ma chambre le jour de votre départ & de son arrivée; le siége sur lequel il s'assit, la place où il m'annonça

mon malheur, où il me rendit mes Lettres, jufqukfon ombre effacée d'un lambris où je l'avois vû se former, tout faisoit chaque jour de nouvelles plaies à mon cœur.

Ici je ne vois rien qui ne me rappelle les idées agréables que j
'y reçus à la premiere vue; je n y retrouve que l'image ae votre amitié & de celle de votre aimable sœur. Si le souvenir d'Aza se présente à mon esprit, c'est fous le même aspect où je le voyois alors. Je crois y attendre son arrivée. Je me prête à cette illusion autant qu'elle m'est agréable; si elle me quitte, je prends des Livres, je lis d'abord avec effort, insensiblement de nou-

velles idées enveloppent laffreufe vérité renfermee au fond de mon cœur, & donnent à !a fin quelque relâche à ma triftefTe.

L
'avouerai-je, les douceurs de la liberté se présentent quel.

quefois à mon imagination, je les écoute ; environnée d'objets agréables, leur propriété a des charmes que je m'efforce de goûter : de bonne foi avec moi-même je compte peu sur ma raison. Je me prête à mes foiblesses, je ne combats celles de mon cœur, qu'en cedant à celles de mon esprit. Les maladies de l'ame ne souffrent pas les remedes violens.

Peut-être la fa
flueufe décence de votre nation ne permetelle

elle pas à mon âge, l'indépendance & la solitude où je vis; du moins toutes les fois que Céline me vient voir, veut-elle me le persuader ; mais elle ne m'a pas encore donné d'assez fortes raisons pour m'en convaincre : la véritable décence est dans mon cœur. Ce n'est point au simulacre de la vertu que je rends hommage, c'est à la vertu même. Je la prendrai toujours pour juge & pour guide de mes aélions. Je lui consacre ma vie, & mon cœur à l'amitié. Hélas ! quand y rcgnera-t'elle sans partage & sans retour ?

  Première version


LETTRE
TRENTE-SEPT.


RAssurez-vous
, trop généreux ami, je nai pas voulu vous écrire que mes jours ne fussent en sureté, & que moins agitée, je ne pusse calmer vos inquiétudes. Je vis ; le destin le veut, je me soumets à ses loix.

Les
soins de votre aimable sœur mont rendu la santé, quelques retours de raison lont soutenue. La certitude que mon malheur est sans reméde a fait le reste. Je sçais quAza est arrivé en Espagne, que son crime est consommé, ma douleur nest pas éteinte, mais la cause n’est plus digne de mes regrets ; s’il en reste dans mon cœur, ils ne sont dus qu’aux peines que je vous ai causées, qu’à mes erreurs, qu’à l’égarement de ma raison.

Hélas
! à mesure quelle méclaire, je découvre son impuissance, que peut-elle sur une ame désolée ? Lexcès de la douleur nous rend la foiblesse de notre premier âge. Ainsi que dans lenfance, les objets seuls ont du pouvoir sur nous ; il semble que la vue soit le seul de nos sens qui ait une communication intime avec notre ame. Jen ai fait une cruelle expérience.

En sortant de la longue & accablante léthargie où me
plongea le départ dAza, le premier desir que minspira la nature fut de me retirer dans la solitude que je dois à votre prévoyante bonté : ce ne fut pas sans peine que jobtins de Céline la permission de my faire conduire ; j’y trouve des secours contre le désespoir que le monde & lamitié même ne mauroient jamais fournis. Dans la maison de votre sœur ses discours consolans ne pouvoient prévaloir sur les objets qui me retraçoient sans cesse la perfidie dAza.

La porte par laquelle Céline
l’amena dans ma chambre le jour de votre départ & de son arrivée ; le siége sur lequel il sassit, la place où il mannonça mon malheur, où il me rendit mes Lettres, jusqu’à son ombre effacée dun lambris où je lavois vu se former, tout faisoit chaque jour de nouvelles plaies à mon cœur.

Ici je ne vois rien qui ne me rappelle les idées agréables que j
y reçus à la premiere vue ; je ny retrouve que limage de votre amitié & de celle de votre aimable sœur.

Si le souvenir dAza se présente à mon esprit, c’est sous le même aspect où je le voyois alors. Je crois y attendre son arrivée. Je me prête à cette illusion autant quelle mest agréable ; si elle me quitte, je prends des Livres, je lis dabord avec effort, insensiblement de nouvelles idées enveloppent laffreuse vérité qui m’environne, & donnent à la fin quelque relache à ma tristesse.

L
avouerai-je, les douceurs de la liberté se présentent quelquefois à mon imagination, je les écoute ; environnée dobjets agréables, leur propriété a des charmes que je mefforce de goûter : de bonne foi avec moi-même je compte peu sur ma raison. Je me prête à mes foiblesses, je ne combats celles de mon cœur, quen cedant à celles de mon esprit. Les maladies de lame ne souffrent pas les remedes violens.

Peut-être la fa
stueuse décence de votre nation ne permet-elle pas à mon âge, lindépendance & la solitude où je vis ; du moins toutes les fois que Céline me vient voir, veut-elle me le persuader ; mais elle ne ma pas encore donné dassez fortes raisons pour me convaincre de mon tort ; la véritable décence est dans mon cœur. Ce nest point au simulacre de la vertu que je rends hommage, cest à la vertu même. Je la prendrai toujours pour juge & pour guide de mes actions. Je lui consacre ma vie, & mon cœur à lamitié. Hélas ! quand y regnera-t-elle sans partage & sans retour ?


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