Deuxième version


LETTRE SEPTI�
�ME.

AZA
, tu n'as pas tout
perdu, tu régnes encore
f
ur un cœur ; je relpire. La vi-
gilance de mes Surv^eillans a
rompu mon funefte deflein, il
ne me refte que la honte d'en
avoir tenté l'exécution. Je ne
t'
apprendrai point les circon-
fi
ances d'un projet auffi-tôt
détruit que formé. Oferois-je
jamais lever les yeux julqu'à
toi , f
i tu avois été témoin de
mon emportement ?

Ma rai
fon anéantie par le
défefpoir
, ne m'étoit plus d'au-
cun fc
cours ; ma vie ne me
paroifTbit d'aucun prix , j'avois
oublié ton amour.



Péruvienne. 105


Que le
fang- froid eft cruel
après la fureur ! Que les points
de vue font difïérenj fur les
mêmes objets ! Dans Ihorreur
du défefpoir on prend la féro-
cité pour du courage , & la
crainte des fouffrances pour de
la fermeté. Qu'un mot, un re-
gard, une furprife nous rap-
pelle à nous-mêmes, nous ne
trouvons que de la foibleffe
pour principe de notre Kéroïf-
me ; pour fruit , que le repen-
tir, & que le mépris pour ré-
com.penfe.

La
connoifTance de ma faute
en ef
t la plus févére punition.
Abandonnée à Tam.ertume des
remords , enf
evelie fous le voi-
le de la honte , je me tiens à
l'
écart; je crains que mon corps

I iiij



104 Lettres d'une

In
occupé trop de place : je vou-
drois le dérober à la lumière ;
mes pleurs coulent en abondan-
ce
, ma douleur eft calme , nul
f
on ne Texhale; mais je fuis
toute à elle. Puis-je trop expier
mon crime? Il étoit contre toi.
En vain, depuis deux jours

ces Sauvages bienfaifans vou-
droient me faire partager la
joy
e qui les tranfporte ; je ne
fais qu'en foupçonner la caufe ;
mais quand elle me feroit plus
connue, je ne me trouverois
pas digne de me mêler à leurs
fc
tes. Leurs danfcs, leui^ cris
de joye , une- liqueur rouge
f
emblable au Mays , ^ dont ils



* Le Mays eft une plante dont les Indiens
font une bollloii forte 5c falutaiic i ils ea



Péruvienne. 105

boivent abondamment , leur
empreflcment à contempler le
Soleil par tous les endroits d'où
ils peuvent Pappercevoir, ne
me laifTeroient pas douter que
cette rcjouifrance ne fe fît en
l'
honneur de l'Aftre Divin, fi
la conduite du Cacique étoit
conforme à celle des autres.

Mais, loin de prendre part

à la joye publique, depuis la
faute que j'ai commife, il n'en
prend qu à ma douleur. Son
zèle eft plus refpechueux, fes
f
oins plus affidus , fon atten-
tion plus pénétrante.

Il a deviné que la pré
fence
continuelle des Sauvages de fa

prefcnccnt au Soleil les jours de fes féres,
& ils en boivent jufqu'à l'yvrefle après le
Sacrifice. Voye:^ tHift, des Incas, t, i. p. 1 5 1 >



io6 Lettres d'une

f
uite ajoutoit la contrainte à
mon affliction; il m'a délivrée
de leurs regards importuns , je
n'
ai prefque plus que les fiens
à f
upporter.

Le croirois
- tu , mon cher
Aza ? Il y a des momens , où
je trouve de la douceur dans
ces entretiens muets ; le feu de
f
es yeux me rappelle l'image
de celui que j'ai vu dans les
tiens ; j'y trouve des rapports
qui f
éduifent mon cœur. Hélas
que cette illufion eft paffagere ,
& que les regrets qui la fui-
vent font durables ! ils ne fini-
ront qu'avec ma vie , puifque
je ne vis que pour toi.



Péruvienne. 107



  Première version


LETTRE SEPTI�
�ME.


Aza
, tu nas pas tout perdu, tu régnes encore sur un cœur ; je respire. La vigilance de mes Surveillans a rompu mon funeste dessein, il ne me reste que la honte d’en avoir tenté lexécution. J’en aurois trop à t’apprendre les circonstances d’une entreprise aussitôt détruite que projettée. Oserois-je jamais lever les yeux jusqu’à toi, si tu avois été témoin de mon emportement ?

Ma rai
son soumise au désespoir, ne métoit plus d’aucun secours ; ma vie ne me paroissoit d’aucun prix, j’avois oublié ton amour.

Que le
sang-froid est cruel après la fureur ! Que les points de vue sont différens sur les mêmes objets ! Dans l’horreur du désespoir on prend la férocité pour du courage, & la crainte des souffrances pour de la fermeté. Quun mot, un regard, une surprise nous rappelle à nous-même, nous ne trouvons que de la foiblesse pour principe de notre Héroïsme ; pour fruit, que le repentir, & que le mépris pour récompense.

La
connoissance de ma faute en est la plus sévére punition. Abandonnée à l’amertume du repentir, ensevelie sous le voile de la honte, je me tiens à l’écart ; je crains que mon corps n’occupe trop de place : je voudrois le dérober à la lumiere ; mes pleurs coulent en abondance, ma douleur est calme, nul son ne l’exhale ; mais je suis toute à elle. Puis-je trop expier mon crime ? Il étoit contre toi.

En vain, depuis deux jours
ces Sauvages bienfaisans voudroient me faire partager la joie qui les transporte ; je ne fais qu’en soupçonner la cause ; mais quand elle me seroit plus connue, je ne me trouverois pas digne de me mêler à leurs tes. Leurs danses, leurs cris de joie, une liqueur rouge semblable au Mays [24], dont ils boivent abondamment, leur empressement à contempler le Soleil par tous les endroits d’où ils peuvent l’appercevoir, ne me laisseroient pas douter que cette réjouissance ne se fît en l’honneur de l’Astre Divin, si la conduite du Cacique étoit conforme à celle des autres.

Mais, loin de prendre part
à la joie publique, depuis la faute que jai commise, il n’en prend quà ma douleur. Son zèle est plus respectueux, ses soins plus assidus, son attention plus pénétrante.

Il a deviné que la pré
sence continuelle des Sauvages de sa suite ajoutoit la contrainte à mon affliction ; il ma délivrée de leurs regards importuns, je n’ai presque plus que les siens à supporter.

Le croirois
-tu, mon cher Aza ? Il y a des momens, où je trouve de la douceur dans ces entretiens muets ; le feu de ses yeux me rappelle limage de celui que j’ai vû dans les tiens ; jy trouve des rapports qui séduisent mon cœur. Hélas que cette illusion est passagere & que les regrets qui la suivent sont durables ! ils ne finiront quavec ma vie, puisque je ne vis que pour toi.


----


Il semble que votre navigateur par défaut ne supporte pas ce logiciel.


Pour remédier à cela procédez comme suit :

1. Téléchargez une copie de Mozilla Firefox ou de Google Chrome.

2. Ouvrez une fenêtre du navigateur que vous venez de télécharger.

3. Ouvrez le disque et glissez-déposez le fichier index.html sur la fenêtre du navigateur.
 
   
 
 

Insertions [90]

Suppressions [27]

Déplacements [0] Blocs communs [175]