Deuxième version


LETTRE QUATORZI�
�ME.

SI je continuois, mon cher

Aza, à prendre fur mon
f
ommeil le tems que je te don-
ne, je ne jouirois plus de ces
momens délicieux où je n'exifte
que pour toi. On m'a fait re-
prendre mes habits de Vierge ,
& l'on m'
oblige de refier tout
le jour dans une chambre rem-
plie d'une foule de monde qui
i
e change &c fe renouvelle à
tout moment fans prefque di-
minuer.

Cette di
flTipation involon-
taire m'arrache fouvent mal-
gré moi à mes tendres penfées ;
mais fi je perds pour quelques



1^4 Lettres d'une

inf
tans cette attention vive qui
unit fans celTe mon ame à la
tienne , je te retrouve bien-tôt
dans les comparaifons avanta-
geuf
es que je fais de toi avec
tout ce qui m'environne.

Dans les différentes Con
-
trées que j'ai parcourues , je
n'
ai point vu des Sauvages fi
orgueilleufement familiers que
ceux-ci. Les femmes fur -tout
me paroifTent avoir une bonté
méprifante qui révolte l'huma-
nité &c qui m'infpireroit peut-
être autant de mépris pour
elles qu'elles en témoignent
pour les autres, fi je les con-
noiflb
is mieux.

Une d
'entr'elles m'occafion-
na hier un affront, qui m'afHi-
ge encore aujourd'hui. Dajis le



Péruvienne, j6^

tems que Paflemblée étoit la
plus nombreuîc , elle avoir dé-
parlé à plufieurs perfonnes
f
ans m'appercevoir > foit que
le hazard , ou que quelqu'un
m'
ait fait remarquer , elle fit
un éclat de rire, en jettant les
yeux fur moi, quitta précipi-
tamment fa place , vint à moi ^
me fit lever, & après m'a voir
tournée & retournée autant de
fois que fa vivacité le lui fug-
ra, après avoir touché tous
les morceaux de mon habit
avec une attention fcrupuleu-
fe
, elle fit figne à un jeune
homme de s'approcher &: re-
commença avec lui l'examen
de ma figure.

Quoique je répugna
ffe à la
liberté que l'un &c l'autre fe



i66 Lettres d'une

donnoient, la richeffe des ha-
bits de la femme , me la faifant
prendre pour une P allas , & la
magnificence de ceux du jeune
homme tout couvert de pla-
ques d or, pour un Anqui-y * je
n'of
ois m'oppofer à leur vo-
lonté^ mais ce Sauvage témé-
raire enhardi par la familiarité
delà P
allas, & peut-être par
ma retenue , ayant eu l'audace
de porter la main fur ma gor-
ge, je le repouflai avec une
f
urprife & une indignation qui
lui firent connoître que j'étois
mieux inftruite que lui des loix
de r
honnêteté.



* Prince du Sang : il falloir une permif-
fion de rinca pour porter de l'or fur les
habits , & il ne le permettoit qu'aux Prin-
ces du Sang Royal,



Péruvienne. 167


Au cri que je fis
, Détcrville
accourut : il n'eut pas plutôt
dit quelques paroles au jeune
Sauvage^quQ celui-ci s'appuyant
d'
une main fur fon épaule , fit
des ris fi violens , que fa figure
en étoit contrefaite.

Le Cacique s
'en débarafla , &
lui dit , en rougiflant , des mots
d'
un ton fi froid , que la gayeté
du jeune homme s'évanouit, &c
n'
ayant apparemment plus rien
à répondre , il s'éloigna fans
répliquer & ne revint plus.

O
, mon cher Aza , que les
mœurs de ces pays me rendent
refpecfk
ables celles des enfans
du Soleil ! Que la témérité du
jeune Anqui rappelle chère-
ment à mon fouvenir ton ten«
dre refpe(51:, ta fage retenue &



i68 Lettres d'une

les charmes dePhonn�teté qui
régnoient dans nos entretiens !
Je Pai f
enti au premier mo-
ment de ta vue, chères délices
de mon ame, &c je le penferai
toute ma vie. Toi feul réunis
toutes les perfeélions que la
nature a répandues féparémcnt
f
ur les humains, comme elle a
raff
emblé dans mon cœur tous
les f
entimens de tendreffe &c
d'
admiration qui m'attachent à
toi jufqu'à la mort.




LETTRE




Péruvienne. 169



  Première version


LETTRE QUATORZI�
�ME.


SI je continuois, mon cher
Aza, à prendre sur mon sommeil le tems que je te donne, je ne jouirois plus de ces momens délicieux où je n’existe que pour toi. On ma fait reprendre mes habits de vierge, & l’on m’oblige de rester tout le jour dans une chambre remplie dune foule de monde qui se change & se renouvelle à tout moment sans presque diminuer.

Cette di
ssipation involontaire marrache souvent malgré moi à mes tendres pensées ; mais si je perds pour quelques instans cette attention vive qui unit sans cesse mon ame à la tienne, je te retrouve bientôt dans les comparaisons avantageuses que je fais de toi avec tout ce qui menvironne.

Dans les différentes Con
trées que jai parcourues, je n’ai point vû des Sauvages si orgueilleusement familiers que ceux-ci. Les femmes sur-tout me paroissent avoir une bonté méprisante qui révolte l’humanité & qui m’inspireroit peut-être autant de mépris pour elles quelles en témoignent pour les autres, si je les connoissois mieux.

Une d
’entr’elles m’occasionna hier un affront, qui m’afflige encore aujourdhui. Dans le tems que l’assemblée étoit la plus nombreuse, elle avoit déja parlé à plusieurs personnes sans mappercevoir ; soit que le hazard, ou que quelqu’un m’ait fait remarquer, elle fit, en jettant les yeux sur moi, un éclat de rire, quitta précipitamment sa place, vint à moi, me fit lever, & après m’avoir tournée & retournée autant de fois que sa vivacité le lui suggera, après avoir touché tous les morceaux de mon habit avec une attention scrupuleuse, elle fit signe à un jeune homme de sapprocher & recommença avec lui lexamen de ma figure.

Quoique je répugna
sse à la liberté que l’un & l’autre se donnoient, la richesse des habits de la femme, me la faisant prendre pour une Pallas, & la magnificence de ceux du jeune homme tout couvert de plaques dor, pour un Anqui [35] ; je n’osois m’opposer à leur volonté ; mais ce Sauvage téméraire enhardi par la familiarité de la Pallas, & peut-être par ma retenue, ayant eu laudace de porter la main sur ma gorge, je le repoussai avec une surprise & une indignation qui lui firent connoître que jétois mieux instruite que lui des loix de l’honnêteté.

Au cri que je fis
, Déterville accourut : il neut pas plûtôt dit quelques paroles au jeune Sauvage, que celui-ci sappuyant d’une main sur son épaule, fit des ris si violens, que sa figure en étoit contrefaite.

Le Cacique s
en débarassa, & lui dit, en rougissant, des mots d’un ton si froid, que la gaieté du jeune homme sévanouit, & n’ayant apparemment plus rien à répondre, il séloigna sans répliquer & ne revint plus.

Ô
, mon cher Aza, que les mœurs de ce pays me rendent respectables celles des enfans du Soleil ! Que la témérité du jeune Anqui rappelle cherement à mon souvenir ton tendre respect, la sage retenue & les charmes de l’honn�teté qui régnoient dans nos entretiens ! Je l’ai senti au premier moment de ta vue, cheres délices de mon ame, & je le penserai toute ma vie. Toi seul réunis toutes les perfections que la nature a répandues séparément sur les humains, comme elle a rassemblé dans mon cœur tous les sentimens de tendresse & d’admiration qui mattachent à toi jusqu’à la mort.


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