Deuxième version


LETTRE TRENT
E-DEUX.

Q

U E
ton voyage est long, mon cher Aza! Que je

dci
ire ardemment ton arrivée!

Le terme m'en paroît plus vague que je ne lavois encore envisagé ; & je me garde bien de faire là-dessus aucunes quefiions à Déterville. Je ne puis lui pardonner la mauvaifc opinion qu'il a de ton cœur. Celle que je prens du fien, diminue beaucoup la pitié que j'avois de ses peines, & le regret d'être en quelque façon séparée de lui.

Nous sommes à Paris depuis quinze jours
; je demeure avec

Céline dans la maison de son mari, assez éloignée de celle de son frere, pour n'être point obligée à le voir à toute heure.

Il vient louvent y manger; mais nous menons une vie si agitée, Céline & moi, qu'il n'a pas le loisir de me parler en particulier.

Depuis notre retour, nous employons une partie de la journée au travail pénible de notre aju
fiement, & le reste à ce qu'on appelle rendre des devoirs.

Ces deux occupations me paroîtroient aussi infructueu
es qu'elles font fatiguantes, li la aerniere ne me procuroit les moyens de m'infiruire encore plus particulièrement des mœurs

mœurs du
pays. A mon arrivée en France, n'ayant aucune connoissance de la langue, je ne jugeois que sur les apparences. Lorsque sque je commençai à en faire usage j'étois dans la Maison Religieuse, tu sçais que j'y trouvois peu de secours pour mon instruction; je n'ai vû à la Campagne qu'une cfpece de societe particulière, c'elt à préfentque répandue dans ce qu'on appelle le grand monde, je vois la nation entiere, & que je puis l'examiner sans obitacles.

Les devoirs que nous rendons, consistent à entrer en un jour dans le plus grand nombre de maisons qu
'il est possible pour y rendre & v rece-

voir un tribut de louanges réciproques sur la beauté du visage & de la taille, sur l'excellence du goût & du choix des parures; & jamais sur les qualités de l'ame.

Je n
'ai pas été long-tems sans m'appercevoir de la raison, qui fait prendre tant de peines, pour acquérir cet hommage frIvole; c'est qu'il faut nécessairement le recevoir en personne, encore n'est-il que bien momentané. Dès que l'on disparoît, il prend une autre forme. Les agrémens que l'on trouvoit à celle qui fort, ne fervent plus que de comparaison méprisante pour établir les perfeaions de celle qui arrive.

La censure est le goût do
-

minant des François, comme l'inconséquence ellle caraétère de la nation. Leurs Livres font la critique générale des mœurs, & leur conversation celle de chaque particulier , pourvû néanmoins, qu'ils soient absens, alors on dit librement tout le mal que l'on en pense, & quelquefois celui que l'on ne pense pas. Les plus gens de bien suivent la coûtume; on les distingue seulement à une certaine formule d'apologie de leur franchise & de leur amour pour la vérité, au moyen de laquelle ils révélent sans scrupule les défauts, les ridicules & jusqu'aux vices de leurs amis.

Si la sincérité dont les Fran
-

çois font usage les uns contre les autres, n'a point d'exception , de même leur confiance réci proq ue est sans bornes. Il ne faut ni éloquence pour se faire écouter, ni probité pour se faire croire. Tout est dit, tout est reçû avec la même légereté.

Ne crois pas pour cela, mon cher Aza
, qu'en général les François soient nés méchans.

je f
erois plus injuste qu'eux, si je te laiflois dans l'erreur.

Naturellement sensibles, touchés de la vertu
, je n'en ai point vu , qui écoutât, sans attendrissement, le récit que l'on m'oblige souvent à faire de la droiture de nos cœurs, de la candeur de nos fcntimens & t,-

de la simplicité de nos mœurs; s'ils vivoient parmi nous, ils deviendroient vertueux : l'exemple & la coûtume font les tyrans de leur conduite.

Tel qui pense bien
d'un absent, en médit pour n'être pas méprisé de ceux qui l'écoutent.

Tel autre feroit bon, humain 9, sans orgueil, s'il ne craignoic d'être ridicule , & tel est ridicule par état, qui feroit un modèle de perfections, s'il osoit hautement avoir du mérite.

Enfin, mon cher Aza,
dans la plûpart d'entre eux les vices font artificiels comme les vertus, & la frivolité de leur caractère ne leur permet d'être qu'imparfaitement ce qu'ils sont. Tels à peu près que cer-

tain
s jouets de leur enfance, imitation informe des êtres pensant. Ils ont du poids aux yeux, de la légéret au tact, la surface coloriée, un intérieur informe , un prix apparenr, aucune valeur réelle. Aussi ne font-ils guere eflimés par les autres nations que comme les jolies bagatelles le font dans la sociéte. Le bon sens sourit à leurs gentillettes & les remet froidement à leur place.

Heureuse la nation qui n
'a que la nature pour guide, la vérité pour principe Se la vertu pour mobile.

  Première version


LETTRE TRENT
IÉME.


QUe
ton voyage est long, mon cher Aza ! Que je desire ardemment ton arrivée ! Le tems a dissipé mes inquiétudes : je ne les vois plus que comme un songe dont la lumière du jour efface l’impression. Je me fais un crime de t’avoir soupçonné, & mon repentir redouble ma tendresse ; il a presque entierement détruit la pitié que me causoient les peines de Déterville ; je ne puis lui pardonner la mauvaise opinion qu’il semble avoir de toi ; j’en ai bien moins de regret dêtre en quelque façon séparée de lui.

Nous sommes à Paris depuis quinze jours
; je demeure avec Céline dans la maison de son mari, assez éloignée de celle de son frère, pour nêtre point obligée à le voir à toute heure. Il vient souvent y manger ; mais nous menons une vie si agitée, Céline & moi, qu’il n’a pas le loisir de me parler en particulier.

Depuis notre retour, nous employons une partie de la journée au travail pénible de notre aju
stement, & le reste à ce que l’on appelle rendre des devoirs.

Ces deux occupations me paroîtroient aussi infructueu
ses quelles sont fatiguantes, si la derniere ne me procuroit les moyens de m’instruire plus particulierement des usages de ce pays.

À
mon arrivée en France, n’entendant pas la langue, je ne pouvois juger que sur les dehors ; peu instruite dans la maison religieuse, je ne l’ai guère été davantage à la campagne, où je n’ai vu qu’une société particuliere, dont j’étois trop ennuiée pour l’éxaminer. Ce n’est qu’ici, où répandue dans ce que l’on appelle le grand monde, je vois la nation entiere.

Les devoirs que nous rendons, consistent à entrer en un jour dans le plus grand nombre de maisons qu
il est possible pour y rendre & y recevoir un tribut de louanges réciproques sur la beauté du visage & de la taille, sur lexcellence du goût & du choix des parures.

Je n
ai pas été longtems sans mappercevoir de la raison qui fait prendre tant de peines, pour acquerir cet hommage ; c’est quil faut nécessairement le recevoir en personne, encore nest-il que bien momentané. Dès que lon disparoît, il prend une autre forme. Les agrémens que lon trouvoit à celle qui sort, ne servent plus que de comparaison méprisante pour établir les perfections de celle qui arrive.

La censure est le goût do
minant des François, comme linconséquence est le caractère de la nation. Leurs livres sont la critique générale des mœurs, & leur conversation celle de chaque particulier, pourvû néanmoins qu’ils soient absens.

Ce qu’ils appellent la mode n’a point encore alteré l’ancien usage de dire
librement tout le mal que l’on peut des autres, & quelquefois celui que lon ne pense pas. Les plus gens de bien suivent la coutume ; on les distingue seulement à une certaine formule dapologie de leur franchise & de leur amour pour la vérité, au moyen de laquelle ils révélent sans scrupule les défauts, les ridicules & jusquaux vices de leurs amis.

Si la sincérité dont les Fran
çois font usage les uns contre les autres, na point dexception, de même leur confiance réciproque est sans borne. Il ne faut ni éloquence pour se faire écouter, ni probité pour se faire croire. Tout est dit, tout est reçû avec la même légereté.

Ne crois pas pour cela, mon cher Aza
, qu’en général les François soient nés méchans, je serois plus injuste qu’eux si je te laissois dans lerreur.

Naturellement sensibles, touchés de la vertu
, je nen ai point vû qui écoutât sans attendrissement l’histoire que l’on m’oblige souvent à faire de la droiture de nos cœurs, de la candeur de nos sentimens & de la simplicité de nos mœurs ; s’ils vivoient parmi nous, ils deviendroient vertueux : lexemple & la coutume sont les tirans de leurs usages.

Tel qui pense bien
, médit d’un absent pour nêtre pas méprisé de ceux qui lécoutent. Tel autre seroit bon, humain, sans orgueil, sil ne craignoit d’être ridicule, & tel est ridicule par état qui seroit un modèle de perfections s’il osoit hautement avoir du mérite.

Enfin, mon cher Aza,
leurs vices sont artificiels comme leurs vertus, & la frivolité de leur caractère ne leur permet dêtre quimparfaitement ce qu’il sont. Ainsi que leurs jouets de lenfance, ridicules institutions des êtres pensans, ils n’ont, comme eux, qu’une ressemblance ébauchée avec leurs modèles ; du poids aux yeux, de la légéreté au tact, la surface coloriée, un intérieur informe, un prix apparent, aucune valeur réelle. Aussi ne sont-ils estimés par les autres nations que comme les jolies bagatelles le sont dans la société. Le bon sens sourit à leurs gentillesses & les remet froidement à leur place.

Heureuse la nation qui n
a que la nature pour guide, la vérité pour mobile & la vertu pour principe.


----


Il semble que votre navigateur par défaut ne supporte pas ce logiciel.


Pour remédier à cela procédez comme suit :

1. Téléchargez une copie de Mozilla Firefox ou de Google Chrome.

2. Ouvrez une fenêtre du navigateur que vous venez de télécharger.

3. Ouvrez le disque et glissez-déposez le fichier index.html sur la fenêtre du navigateur.
 
   
 
 

Insertions [72]

Suppressions [60]

Déplacements [11] Blocs communs [138]