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Françoise de Graffigny - Lettres d’une péruvienne - Lettre trente-trois


Graffigny

Françoise de Graffigny - Lettres d’une péruvienne - Lettre trente-trois

Extrait tiré de : Françoise de Graffigny, Lettres d’une péruvienne, 1752 (acheter l’œuvre)

Extrait proposé par : Du côté des autrices


À propos de cet extrait :

Françoise de Graffigny, née en 1695 à Nancy, publie en 1747 les Lettres d’une Péruvienne. Dans ce roman épistolaire, genre littéraire apprécié à l’époque (Montesquieu et ses Lettres persanes en 1721, elle met en scène Zilia, une princesse inca enlevée par les colons espagnols, prise ensuite sous l’aile d’un Français. L’occasion d’élaborer une critique sociale de l’époque à travers les yeux d’une étrangère obligée de découvrir les us et coutumes françaises. Un peu comme L’Ingénu de Voltaire…

Lettres d’une péruvienne rencontre un succès total : il devient l’un des romans les plus lus de l’époque, il est traduit dans plusieurs langues, réédité plus de 100 fois… Il est même mis à l’Index, ce registre des ouvrages prohibés, ce qui ne fait que déployer davantage d’attrait pour l’ouvrage. Pourtant, malgré toutes ses qualités, l’œuvre finit par être oubliée, ainsi que Françoise de Graffigny, avant que des féministes ne la redécouvrent dans les années 1970.

Dans l’extrait ci-dessous, tiré de l’édition de 1752, Zilia décrit à son amant Aza son incompréhension du traitement des femmes dans un pays tel que la France. Sa subjectivité fait prendre conscience de l’absurdité de cette situation.

Retrouvez cet extrait lu par Mathilde Doiezie dans le podcast Du côté des autrices.


(licence Creative Commons BY-SA, Du côté des autrices)
Texte de l'extrait (source) :

Il n’est pas surprenant, mon cher Aza, que l’inconséquence soit une suite du caractère léger des Français ; mais je ne puis assez m’étonner de ce qu’avec autant et plus de lumière qu’aucune autre nation, ils semblent ne pas apercevoir les contradictions choquantes, que les étrangers remarquent en eux dès la première vue.

Parmi le grand nombre de celles qui me frappent tous les jours, je n’en vois point de plus déshonorante pour leur esprit, que leur façon de penser sur les femmes. Ils les respectent, mon cher Aza, et en même temps ils les méprisent avec un égal excès.

La première loi de leur politesse, ou si tu veux de leur vertu, (car jusqu’ici je ne leur en ai guère découvert d’autres) regarde les femmes. L’homme du plus haut rang doit des égards à celle de la plus vile condition, il se couvrirait de honte, et de ce qu’on appelle ridicule, s’il lui faisait quelque insulte personnelle. Et cependant l’homme, le moins considérable, le moins estimé, peut tromper, trahir une femme de mérite, noircir sa réputation par des calomnies, sans craindre ni blâme ni punition. [...]

Ici loin de compatir à la faiblesse des femmes, celles du peuple accablées de travail n’en sont soulagées ni par les lois ni par leurs maris ; celles d’un rang plus élevé, jouent de la séduction ou de la méchanceté des hommes, n’ont pour se dédommager de leurs perfidies, que les dehors d’un respect purement imaginaire, toujours suivi de la plus mordante satire. [...]

L’impudence et l’effronterie dominent entièrement les jeunes hommes, surtout quand ils ne risquent rien. Le motif de leur conduite avec les femmes, n’a pas besoin d’autre éclaircissement, mais je ne vois pas encore le fondement du mépris intérieur que je remarque pour elles, presque dans tous les esprits ; je ferai mes efforts pour le découvrir ; mon propre intérêt m’y engage, ô mon cher Aza ! Quelle serait ma douleur si à ton arrivée on te parlait de moi comme j’entends parler des autres.