Extrait tiré de : Germaine de Staël, Corinne ou l’Italie, 1807 (acheter l’œuvre)
Extrait proposé par : Du côté des autrices
Germaine de Staël est née en 1766 à Paris, d’un couple de Suisses protestants très influents dans la vie politique française. Son père, Jacques Necker, est ministre des finances sous Louis XVI et sa mère, Suzanne Necker, est une femme de lettres dont le salon littéraire attire notamment les contributeurs de l’Encyclopédie.
Germaine de Staël est farouchement engagée en faveur de la Révolution, comme elle le rapporte dans certains de ses écrits. Elle fonde un salon, qui devient un centre réunissant des opposants à Napoléon Bonaparte. Celui-ci la prend en grippe. Il la force à l’exil. Germaine de Staël se réfugie alors en Suisse, où elle exporte son salon qui est fréquenté par toute l’intelligentsia européenne.
Pendant ses années d’exil, Germaine de Staël, curieuse et cosmopolite, fait l’expérience du voyage comme nombre de ses contemporains. Elle se rend en Italie, un voyage qui façonne son roman Corinne ou l’Italie, publié en 1807.
Corinne, l’héroïne du roman, est une intellectuelle et une artiste complète, suscitant l’admiration de tous et toutes. Elle a fui l’Angleterre, où elle avait été forcée de déménager, ne supportant pas que les femmes y soient perpétuellement soumises à une figure masculine. Elle se reconstruit dans son Italie natale, où elle s’adonne et où elle excelle dans tous les arts. Indépendante d’esprit, elle n’en est pas moins sensible. Notamment aux charmes de Lord Oswald Nelvil, un Britannique auquel elle fait visiter son pays. Lui est étourdi par sa grâce et son talent, comme dans cet extrait, où l’art de la danse s’incarne chez Corinne.
Retrouvez cet extrait lu par Mathilde Doiezie dans le podcast Du côté des autrices.
Corinne, en dansant, faisait passer dans l’âme des spectateurs ce qu’elle éprouvait, comme si elle avait improvisé, comme si elle avait joué de la lyre ou dessiné quelques figures ; tout était langage pour elle : les musiciens, en la regardant, s’animaient à mieux faire sentir le génie de leur art ; et je ne sais quelle joie passionnée, quelle sensibilité d’imagination électrisait à la fois tous les témoins de cette danse magique, et les transportait dans une existence idéale où l’on rêve un bonheur qui n’est pas de ce monde.
Il y a un moment dans cette danse napolitaine où la femme se met à genoux, tandis que l’homme tourne autour d’elle, non en maître, mais en vainqueur. Quel était dans ce moment le charme et la dignité de Corinne ! comme à genoux elle était souveraine ! Et quand elle se releva, en faisant retentir le son de son instrument, de sa cymbale aérienne, elle semblait animée par un enthousiasme de vie, de jeunesse et de beauté, qui devait persuader qu’elle n’avait besoin de personne pour être heureuse. Hélas ! il n’en était pas ainsi ; mais Oswald le craignait, et soupirait en admirant Corinne, comme si chacun de ses succès l’eût séparée de lui ! À la fin de la danse, l’homme se jette à genoux à son tour, et c’est la femme qui danse autour de lui. Corinne en cet instant se surpassa, s’il était possible encore ; sa course était si légère en parcourant deux ou trois fois le même cercle, que ses pieds chaussés en brodequins volaient sur le plancher avec la rapidité de l’éclair ; et quand elle éleva l’une de ses mains en agitant son tambour de basque, et que de l’autre elle fit signe au prince d’Amalfi de se relever, tous les hommes étaient tentés de se mettre à genoux comme lui, tous, excepté lord Nelvil qui se retira de quelques pas en arrière, et le comte d’Erfeuil qui fit quelques pas en avant, pour complimenter Corinne.