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Olympe Audouard - À travers l’Amérique, le Far-West - Les femmes à l’Académie française (p. 120-123)


Audouard

Olympe Audouard - À travers l’Amérique, le Far-West - Les femmes à l’Académie française (p. 120-123)

Extrait tiré de : Olympe Audouard, À travers l’Amérique, le Far-West, 1869

Extrait proposé par : LIFG3107@ENS Lyon


À propos de cet extrait :

Olympe Audouard (1832-1890) lance sa carrière en littérature après sa séparation avec son mari. Elle fréquente les cercles littéraires parisiens et fonde deux revues, Le Papillon et La Revue Cosmopolite. Elle mène plusieurs conférences sur le statut économique et juridique des femmes et appelle à des réformes pour améliorer leur situation dans la société. Elle est également une grande voyageuse : ses expéditions transposées en récits lui permettent de critiquer, par comparaison, les mœurs français.

Dans cet extrait de récit de voyage, l’autrice de retour à Paris utilise ses observations en Amérique et en Orient pour remettre en question le monopole masculin dans la vie littéraire et exposer ses idées une éventuelle égalité des conditions entre les hommes et les femmes.

Par quels procédés l’autrice délégitime le monopole masculin en littérature ? Quelle place accorde-t-elle aux institutions dans la société française ?

Lazare Duval


(licence ouverte 2.0, LIFG3107@ENS Lyon)
Texte de l'extrait (source) :

[…] j’aime à travailler dans un but qui peut m’être profitable. Or, à quoi se réduit le profit d’une femme écrivain ?

Un homme, s’il arrive, à force d’études, de soins et de travail, à une certaine notoriété, recherche tout de suite à satisfaire son ambition : si son ouvrage est bon, il se verra loué, exalté par cette franc-maçonnerie d’auteurs qui n’admet dans son sein que ceux dont elle peut tirer parti ; il se bercera, ne fût-ce que dans un avenir lointain, de l’espoir d’arriver à un de ces fauteuils de l’Académie1, dans lequel il pourra dormir du sommeil des satisfaits ; les portes de l’Institut2 s’ouvriront devant lui, et si ses rêves sont orgueilleux, il verra scintiller un bout du ruban à sa boutonnière, un grand cordon à son cou ou une belle plaque sur sa poitrine : tout travail a donc pour l’homme sa récompense… mais pour la femme rien n’est réservé… D’abord, au lieu d’encouragements, elle ne rencontre que des esprits railleurs, toujours prêts à nier son aptitude et à diminuer son mérite quel qu’il soit… Ce droit de donner un corps et une âme à sa pensée, on le lui conteste ; elle est forcée de le dérober, à ses risques et périls bien entendu… Les confrères affectent de ne pas la prendre au sérieux, et fût-elle même, comme George Sand, un des premiers écrivains de la France, elle n’aurait devant elle aucune ambition à réaliser, aucun espoir de récompense dignement gagnée, et justement acquise !… Non, elle est femme… cette condition suffit aux hommes pour annuler l’écrivain… pour elle, point d’Académie, point d’Institut !

Et pourtant, lorsqu’on décore un homme dont la vie privée est douteuse, on dit : « Ce n’est pas l’homme que nous honorons, c’est l’écrivain. » Le crime d’être femme serait irrémissible3.

Un jour, je rencontrai dans un salon un auteur bien connu pour le laisser-aller de son style ; il vous dit, par exemple : « Monsieur un tel (mon héros), se promenait dans son jardin, les mains croisées derrière le dos et lisant son journal… » et une page plus loin : « Il tenait de la main droite, sa bougie, de la main gauche, son revolver, et de l’autre sa canne… ». Cet auteur, qui est décoré probablement pour avoir inventé l’homme à trois bras, m’entendant plaider la cause de l’égalité qui devrait exister entre la femme et l’homme, aussi bien devant les honneurs et les récompenses, que devant les pénalités et les condamnations… s’avança vers moi et me dit d’un petit air goguenard : « Est-ce que vous auriez la prétention de demander la croix4 pour les femmes ? » et, disant cela, il jetait un coup d’œil satisfait sur son ruban rouge5.

Je ne pus m’empêcher de lui répondre :  « Ô mon Dieu, non, car je crois que madame George Sand ne voudrait pas porter la même décoration que vous ! »

Conclusion : écrire sans se préoccuper de son style et très amusant ; faire un volume en quinze jours est un vrai plaisir.

Travailler sa phrase, la refaire deux fois, se relire, est fort ennuyeux.

Tant que nous ne serons pas admises à l’Académie, il est inutile de travailler pour elle.


1. Institution créée en 1635 et chargée de définir la langue française par l’élaboration de son dictionnaire qui fixe l’usage du français

2. Institut de France, créé en 1795, qui rassemble les élites scientifiques, littéraires et artistiques de la nation en vue de perfectionner ces disciplines

3. Impardonnable

4. Récompense officielle remise par l’État, fait référence à la croix qui pend au ruban de la légion d’honneur

5. Ruban de la Légion d’honneur