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La Nuit de la Saint-Barthélemy de Marguerite de Valois


Valois

La Nuit de la Saint-Barthélemy de Marguerite de Valois

Extrait tiré de : Marguerite de Valois, Marguerite de Valois, Mémoires et discours, 2005 (acheter l’œuvre)

Extrait proposé par : Edith Autrand


À propos de cet extrait :

Fille d’Henri II et Catherine de Médicis, Marguerite de Valois épouse Henri de Navarre le 18 août 1572 à Paris. Après la tentative d’assassinat de l’amiral Coligny le 22 août, les relations s’enveniment entre catholiques et protestants, donnant lieu au massacre de la Saint Barthélemy la nuit du 24 août 1572. Marguerite de Valois offre ici un témoignage personnel des événements.


(licence Creative Commons BY-SA, Edith Autrand)
Texte de l'extrait (source) :

[…] Ma sœur fondant en larmes me dit bonsoir, sans m’oser dire autre chose ; et moi je m’en vais, toute transie et perdue, sans me pouvoir imaginer ce que j’avais à craindre.

Soudain que je fus en mon cabinet, je me mets à prier Dieu qu’il lui plût me prendre en sa protection, et qu’il me gardât, sans savoir de quoi ni de qui. Sur cela le roi mon mari, qui s’était mis au lit, me mande1 que je m’allasse coucher, ce que je fis ; et trouvai son lit entouré de trente ou quarante huguenots que je ne connaissais point encore, car il y avait fort peu de temps que j’étais mariée. Toute la nuit ils ne firent que parler de l’accident2 qui était advenu à Monsieur l’amiral, se résolvant, dès qu’il serait jour, de demander justice au roi de Monsieur de Guise, et que si l’on ne la leur faisait, qu’ils se la feraient eux-mêmes. Moi, j’avais toujours dans le cœur les larmes de ma sœur, et ne pouvais dormir pour l’appréhension en laquelle elle m’avait mise sans savoir de quoi. La nuit se passa de cette façon sans fermer l’œil. Au point du jour, le roi mon mari dit qu’il voulait aller jouer à la paume attendant que le roi Charles serait éveillé, se résolvant soudain de lui demander justice. Il sort de ma chambre, et tous ses gentilshommes aussi. Moi, voyant qu’il était jour, estimant que le danger que ma sœur m’avait dit fût passé, vaincue du sommeil, je dis à ma nourrice qu’elle fermât la porte pour pouvoir dormir à mon aise.

Une heure après, comme j’étais plus3 endormie, voici un homme frappant des pieds et des mains à la porte, criant : « Navarre ! Navarre ! » Ma nourrice, pensant que ce fût le roi mon mari, court vitement à la porte et lui ouvre. Ce fut un gentilhomme nommé Monsieur de Léran, neveu de Monsieur d’Audon, qui avait un coup d’épée dans le coude et un coup d’hallebarde dans le bras, et était encore poursuivi de quatre archers qui entrèrent tous après lui en ma chambre. Lui, se voulant garantir, se jeta sur mon lit. Moi, sentant cet homme qui me tenait, je me jette à la ruelle, et lui après moi, me tenant toujours au travers du corps. Je ne connaissais point cet homme, et ne savais s’il venait là pour m’offenser, ou si les archers en voulaient à lui ou à moi. Nous criions tous deux, et étions aussi effrayés l’un que l’autre. Enfin Dieu voulut que Monsieur de Nançay, capitaine des gardes, y vint, qui me trouvant en cet état-là, encore qu’il y eût de la compassion, il ne se put tenir de rire ; et se courrouçant fort aux archers de cette indiscrétion, il les fit sortir, et me donna la vie de ce pauvre homme qui me tenait, lequel je fis coucher et panser dans mon cabinet jusques à tant qu’il fût du tout guéri. Et changeant de chemise, parce qu’il m’avait toute couverte de sang, Monsieur de Nançay me conta ce qui se passait, et m’assura que le roi mon mari était dans la chambre du roi, et qu’il n’aurait point de mal. Et me faisant jeter un manteau de nuit sur moi, il m’emmena dans la chambre de ma sœur Madame de Lorraine, où j’arrivai plus morte que vive, où entrant dans l’antichambre, de laquelle les portes étaient toutes ouvertes, un gentilhomme nommé Bourse, se sauvant des archers qui le poursuivaient, fut percé d’un coup d’hallebarde à trois pas de moi. Je tombai de l’autre côté presque évanouie entre les bras de Monsieur de Nançay, et pensai que ce coup nous eût percés tous deux. Et étant quelque peu remise, entrant en la petite chambre où couchait ma sœur, comme j’étais là, Monsieur de Miossens, premier gentilhomme du roi mon mari, et Armagnac, son premier valet de chambre, m’y vinrent trouver pour me prier de leur sauver la vie. Je m’allai jeter à genoux devant le roi et la reine ma mère pour les leur demander – ce qu’enfin ils m’accordèrent.


1 Demande, fait savoir.
2 Il s’agit de la tentative d’assassinat de l’amiral Gaspard de Coligny par un homme appartenant au clan Guise.
3 Tout à fait, parfaitement.