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Antoinette Deshoulières - Les Oiseaux. Idylle


Deshoulières

Antoinette Deshoulières - Les Oiseaux. Idylle

Extrait tiré de : Antoinette Deshoulières, Poësies, 1688 (acheter l’œuvre)

Extrait proposé par : Élise Legendre-Blondel


À propos de cet extrait :
Dans cette idylle, Deshoulières vante le sort des animaux dont elle fait la peinture de la liberté, contrairement aux hommes dont les mœurs les conduisent à leur propre perte. Cette idylle constitue l’un des textes les plus célèbres de Deshoulières, elle fut reprise dans de nombreuses anthologies poétiques, même au XIXe siècle, alors que l’œuvre de la poétesse tombe injustement dans l’oubli.
(licence Creative Commons BY-SA, Élise Legendre-Blondel)
Texte de l'extrait (source) :
                           LES OISEAUX. IDYLE
L’Air n’est plus obscurci par des brouillards épais,
Les Prés font éclater les couleurs les plus vives,
            Et dans leurs humides Palais
L’Hiver ne retient plus les Naïades[1] captives.
Les Bergers accordant leur Musette[2] à leur voix,
      D’un pied léger foulent l’herbe naissante :
Les Troupeaux ne sont plus sous leurs rustiques toits,
            Mille et mille Oiseaux à la fois
            Ranimant leur voix languissante,
Réveillent les Échos[3] endormis dans ces Bois.
Où brillaient les Glaçons, on voit naitre les Roses.
Quel Dieu chasse l’horreur qui régnait dans ces lieux ?
Quel Dieu les embellit ? Le plus petit des Dieux
            Fait seul tant de métamorphoses ;
Il fournit au Printemps tout ce qu’il a d’appas ;
            Si l’Amour ne s’en mêlait pas,
            On verrait périr toutes choses.
            Il est l’âme de l’Univers,
            Comme il triomphe des Hivers
Qui désolent nos Champs par une rude guerre,
D’un cœur indifférent il bannit les froideurs.
            L’indifférence est pour les cœurs,
            Ce que l’Hiver est pour la terre.
Que nous servent, hélas ! de si douces leçons ?
Tous les ans la Nature en vain les renouvelle ;
      Loin de la croire, à peine nous naissons,
      Qu’on nous apprend à combattre contre elle.
      Nous aimons mieux par un bizarre choix,
            Ingrats Esclaves, que nous sommes,
Suivre ce qu’inventa le caprice des Hommes,
      Que d’obéir à nos premières Lois.
      Que votre sort est différent du nôtre,
            Petits Oiseaux qui me charmez !
            Voulez-vous aimer ? vous aimez ;
Un lieu vous déplait-il ? vous passez dans un autre.
On ne connait chez vous ni vertus, ni défauts,
Vous paraissez toujours sous le même plumage,
Et jamais dans les Bois on n’a vu les Corbeaux
      Des Rossignols emprunter le ramage[4].
            Il n’est de sincère langage,
Il n’est de liberté que chez les Animaux.
L’usage, le devoir, l’austère bienséance,
Tout exige de nous des droits dont je me plains,
Et tout enfin, du cœur des perfides Humains
            Ne laisse voir que l’apparence.
Contre nos trahisons la Nature en courroux,
            Ne nous donne plus rien sans peine ;
      Nous cultivons les Vergers, et la Plaine,
Tandis, petits Oiseaux, qu’elle fait tout pour vous.
Les filets qu’on vous tend sont la seule infortune
            Que vous avez à redouter ;
            Cette crainte nous est commune,
Sur notre liberté chacun veut attenter,
Par des dehors trompeurs on tâche à nous surprendre.
            Hélas, pauvres petits Oiseaux,
Des ruses du Chasseur songez à vous défendre,
Vivre dans la contrainte est le plus grand des maux.
[1] Les Naïades : nymphes des eaux dans la mythologie.
[2] Musette : instrument de musique.
[3] Les Échos : nymphes des forêts et des montagnes dans la mythologie.
[4] Ramage : chant des oiseaux.