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Antoinette Deshoulières - Ballade. À Mademoiselle D***


Deshoulières

Antoinette Deshoulières - Ballade. À Mademoiselle D***

Extrait tiré de : Antoinette Deshoulières, Poësies, 1688 (acheter l’œuvre)

Extrait proposé par : Élise Legendre-Blondel


À propos de cet extrait :
Ce poème, publié en 1688, permet d’illustrer le gout d’Antoinette Deshoulières pour la ballade et pour la formulation de conseils à une destinataire féminine. Il souligne la veine initiatique de Deshoulières qui conseille ici sa fille ainée. On repère des motifs antiques (le carpe diem horatien) mêlés à des thèmes renaissants, telle la rose de Ronsard. Deshoulières renouvelle cependant tous ces thèmes afin d’avertir les jeunes femmes quant aux dangers auxquels l’amour expose la beauté féminine : quand la beauté et l’amour sont passés, seule en effet demeure la douleur. La morale proposée à la fin de la ballade formule un conseil précieux, celui de ne pas se laisser séduire par les hommes afin de préserver son honneur. Si ce texte permet de parcourir les caractéristiques de la ballade, il permet aussi d’entendre raisonner une voix féminine novatrice, où le badinage se veut avant tout instructif. Cette ballade a été mise en musique par Jean-Louis Murat et Isabelle Huppert.
(licence Creative Commons BY-SA, Élise Legendre-Blondel)
Texte de l'extrait (source) :
                           BALLADE
                  À Mademoiselle D ***
Ores[1] est temps de vous donner conseil
Sur les périls où beauté vous expose.
Fille ressemble à ce bouton vermeil
Qu’en peu de jours on voit devenir rose.
Tant qu’est bouton on voudrait en jouir,
Nul ne le voit sans désir de rapine[2],
Dès que le Soleil l’a fait épanouir,
On n’en tient compte, un matin le ruine,
De rose alors ne reste que l’épine.
Lors qu’un amant, l’exemple est tout pareil,
Fait voir désirs à quoi pudeur s’oppose,
Si l’on ne fuit, l’amour est un Soleil,
Point n’en doutez par qui fleur est éclose.
Alors en bref on voit s’évanouir
Transports et soins par qui fille peu fine
Présume d’elle, et se laisse éblouir.
Mépris succède à l’amour qui décline,
De rose alors ne reste que l’épine.

Plus de commerce avecque le sommeil,
Ou si parfois un moment on repose,
Songe cruel donne fâcheux réveil ;
Cent et cent fois on en maudit la cause.
Voir on voudrait dans la terre enfouir
Tendre secret duquel on s’imagine
Qu’un traitre ira le monde réjouir.
Parle-t-on bas, on croit qu’on le devine,
De rose alors ne reste que l’épine.

                           ENVOI
Galants fieffés[3], donneurs de gabatine[4],
J’ai beau prêcher qu’on risque à vous ouïr[5],
À coqueter[6] toute fille est encline,
Plutôt que faire approuver ma Doctrine
On filerait chanvre sans le rouir[7].
Mais quand tout bas faut appeler Lucine[8],
De rose alors ne reste que l’épine.

[1] Ores : maintenant, désormais.
[2] Rapine : vol.
[3] Fieffés : qui cultivent le vice.
[4] Donner de la gabatine : expression qui signifie tromper quelqu’un.
[5] Ouïr : entendre.
[6] Coqueter : chercher à plaire.
[7] On filerait chanvre sans le rouir : ce vers signifie que les conseils de la poétesse ne seraient pas appliqués par la jeunesse.
[8] Lucine : déesse des accouchements.