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Louise Michel, « Éternité »


Michel

Louise Michel, « Éternité »

Extrait tiré de : Louise Michel, À travers la vie, 1894

Extrait proposé par : C. Guerrieri


À propos de cet extrait :

En 1870, Napoléon III, qui a pris le pouvoir par un coup d’État en 1851, entame une guerre contre la Prusse qui le mène à la défaite et l’Empire est renversé. Un gouvernement provisoire s’installe à Versailles et signe la capitulation. Mais en mars 1871, les Parisiens se soulèvent contre ce gouvernement provisoire : c’est la Commune, une période de deux mois durant lesquels Paris se déclare démocratie autogérée. Cette insurrection sera réprimée dans le sang en mai 1871. Louise Michel était une Communarde, très active dans les comités de quartiers, qui participa à la plupart des batailles contre le gouvernement provisoire. Arrêtée, elle est ensuite déportée en Nouvelle-Calédonie en 1873. Elle a écrit une œuvre poétique importante, ainsi que des contes, de nombreux essais et ses mémoires. « Éternité » est un poème écrit après son arrestation en 1871 mais qui ne fut publié qu’en 1894.


(licence Creative Commons BY-NC-SA, C. Guerrieri)
Texte de l'extrait (source) :

Prison de Versailles, octobre 1871.

On en est à ce point de honte
De dégoût profond et vainqueur,
Que l’horreur ainsi qu’un flot monte,
Que l’on sent déborder son cœur.
Vous êtes aujourd’hui nos maîtres ;
Notre vie est entre vos mains ;
Mais les jours ont des lendemains,
Et parmi vous sont bien des traîtres.

Passons, passons les mers, passons les noirs vallons,
    Passons, passons
Passons, que les blés mûrs tombent dans les sillons.

Envoyez-nous loin de la France ;
Les pieds y glissent dans le sang ;
Les vents y soufflent la vengeance ;
Entre nous, l’abîme est trop grand.
Laissez-nous partir tous ensemble
Dans les tempêtes de l’hiver,
Sur les flots grondants de la mer,
Vers quelque sol brûlant qui tremble.

Là du moins, nous serons, mes frères,
Sur un sol libre et généreux.
Nos villes sont des cimetières ;
L’ombre des palmiers vaut bien mieux
Si tout passe comme les rêves.
Le progrès a l’éternité ;
Et toujours ton nom, liberté,
Soufflera dans le vent des grèves.

Creusez-nous une vaste tombe,
Exil ou mort, mais pour nous tous :
Là, comme la feuille qui tombe,
Les heures passeront sur nous ;
Sur nous, scellez l’ombre immense
Qui couvre l’éternel repos,
L’oubli de ce qui fut la France,
Comme la pierre du tombeau.

Mais sachez bien, vainqueurs sublimes,
Que si vous en frappez un seul,
Il faudra, poursuivant vos crimes,
Sur tous étendre le linceul ;
Nous fatiguerons votre rage,
Pour vous jeter, froids assassins,
Toujours notre sang au visage.
Nous renaîtrons tous sous vos mains.

Passons, passons les mers, passons les noirs vallons,
    Passons, passons
Passons, que les blés mûrs tombent dans les sillons.