Extrait tiré de : Yasmina Reza, Conversations après un enterrement, 1987
Extrait proposé par : C. Guerrieri
L’endroit où le père est enterré.
Apparaît Alex. Il tient dans une main le sécateur, et dans l’autre trois tiges de chardons marrons et secs. Il regarde le sol un long moment. Enfin il s’accroupit.
Un temps.
ALEX
Écoute-moi papa. Tu es obligé de m’écouter ; t’as les narines pleines de terre, tu peux pas gueuler. Maintenant c’est moi qui gueule tout seul, je n’arrête pas de gueuler. Quand je me regarde, j’ai l’impression d’être un petit vieillard. Je gueule, je m’agite comme un roquet, j’ai quelque chose de pincé, là, dans les lèvres. À douze ans tu m’as giflé parce que je mangeais une cuisse de poulet d’une seule main. Sans prévenir, tu ne m’as même pas dit « Mange avec tes deux mains », tu m’as giflé sans prévenir. Personne n’a bronché. Je suis monté dans ma chambre pleurer comme un con. Nathan est venu (mais il avait fini de manger quand il est venu), il m’a dit « Il est comme ça parce que maman est morte », j’ai répondu : « Fous-moi la paix, il n’a qu’à crever lui aussi... »