Extrait tiré de : Madame de La Fayette, La Princesse de Clèves, 1678 (acheter l’œuvre)
Extrait proposé par : Ministère de l’Éducation nationale Annales du baccalauréat
L’histoire se passe à Paris, dans le milieu de la cour, au XVIème siècle, sous le règne d’Henri II. Mlle de Chartres a essayé d’épouser le cousin germain du roi, mais celui-ci s’est vivement opposé à cette tentative de mariage. [Épreuves anticipées de français du baccalauréat 2012, série ES/S, Liban]
Personne n’osait plus penser à Mlle de Chartres, par la crainte de déplaire au roi ou par la pensée de ne pas réussir auprès d’une personne qui avait espéré un prince du sang. M. de Clèves ne fut retenu par aucune de ces considérations. La mort du duc de Nevers, son père, qui arriva alors, le mit dans une entière liberté de suivre son inclination1 et, sitôt que le temps de la bienséance du deuil fut passé, il ne songea plus qu’aux moyens d’épouser Mlle de Chartres. Il se trouvait heureux d’en faire la proposition dans un temps où ce qui s’était passé avait éloigné les autres partis et où il était quasi assuré qu’on ne la lui refuserait pas. Ce qui troublait sa joie, était la crainte de ne pas lui être agréable, et il eût préféré le bonheur de lui plaire à la certitude de l’épouser sans en être aimé.
Le chevalier de Guise2 lui avait donné quelque sorte de jalousie; mais comme elle était plutôt fondée sur le mérite de ce prince que sur aucune des actions de Mlle de Chartres, il songea seulement à tâcher de découvrir s’il était assez heureux pour qu’elle approuvât la pensée qu’il avait pour elle. Il ne la voyait que chez les reines3 ou aux assemblées; il était difficile d’avoir une conversation particulière. Il en trouva pourtant les moyens et lui parla de son dessein et de sa passion avec tout le respect imaginable; il la pressa de lui faire connaître quels étaient les sentiments qu’elle avait pour lui et il lui dit que ceux qu’il avait pour elle étaient d’une nature qui le rendraient éternellement malheureux si elle n’obéissait que par devoir aux volontés de madame sa mère.
Comme Mlle de Chartres avait le cœur très noble et très bien fait, elle fut véritablement touchée de reconnaissance du procédé du prince de Clèves. Cette reconnaissance donna à ses réponses et à ses paroles un certain air de douceur qui suffisait pour donner de l’espérance à un homme aussi éperdument amoureux que l’était ce prince; de sorte qu’il se flatta d’une partie de ce qu’il souhaitait.
Elle rendit compte à sa mère de cette conversation, et Mme de Chartres lui dit qu’il y avait tant de grandeur et de bonnes qualités dans M. de Clèves et qu’il faisait paraître tant de sagesse pour son âge que, si elle sentait son inclination portée à l’épouser, elle y consentirait avec joie. Mlle de Chartres répondit qu’elle lui remarquait les mêmes bonnes qualités; qu’elle l’épouserait même avec moins de répugnance qu’une autre, mais qu’elle n’avait aucune inclination particulière pour sa personne.
Dès le lendemain, ce prince fit parler à Mme de Chartres; elle reçut la proposition qu’on lui faisait et elle ne craignit point de donner à sa fille un mari qu’elle ne pût aimer en lui donnant le prince de Clèves. Les articles4 furent conclus; on parla au roi, et ce mariage fut su de tout le monde.