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Mme Ulrich, La Folle enchère, scène XVIII


Ulrich

Mme Ulrich, La Folle enchère, scène XVIII

Extrait tiré de : Mme Ullrich, La folle enchère, 1691 (acheter l’œuvre)

Extrait proposé par : C. Guerrieri


À propos de cet extrait :

Angélique et Éraste s’aiment, mais Mme Argante, la mère d’Éraste, ne consent pas au mariage. Les deux amants montent alors un stratagème avec l’aide de leurs valets. Angélique se déguise en homme et se fait passer pour un jeune comte, avec l’aide de la servante Lisette. Elle s’arrange pour que Mme Argante en tombe amoureuse : elle prétend que le sentiment est réciproque et lui fait promettre le secret. Mais ce jeune comte serait aussi poursuivi par une certaine Marquise de la Tribaudière, qui est en réalité Champagne, un valet d’Éraste. Le prétendu père du Comte, incarné par une autre valet d’Éraste, aurait ainsi deux enfants : le Comte, qu’il aurait promis à la Marquise de la Tribaudière, et une fille, promise à un neveu de la Marquise de la Tribaudière. Champagne, sous les traits de la Marquise de la Tribaudière, vient chez Mme Argante pour réclamer ses droits sur le Comte. Ils cherchent ainsi à duper Mme Argante en lui faisant croire que pour qu’elle épouse le Comte, il faut qu’Éraste épouse la sœur du Comte, Angélique, avec une dot généreuse.


(licence Creative Commons BY-NC-SA, C. Guerrieri)
Texte de l'extrait (source) :

CHAMPAGNE.
Ma bonne dame, votre très humble servante. Sans ce gentilhomme qui est toujours chez vous, à ce qu’on dit, je ne vous rendrais pas une visite aussi hors d’oeuvre1 que celle-ci.

LISETTE, bas.
Voilà une marquise tout à fait honnête.

ANGÉLIQUE, bas à Madame Argante.
Ne la brusquez point, Madame : c’est une extravagante.

MADAME ARGANTE.
J’aurais bien de la peine à m’empêcher de lui dire son fait.

CHAMPAGNE.
Eh bien, Monsieur, avez-vous bientôt fini ? Viendrez-vous ? Votre père et mon neveu le chevalier Jumeau nous attendent.

MADAME ARGANTE.
En vérité, Madame, vous jouez un étrange personnage : courir ainsi après un jeune homme !

CHAMPAGNE.
Comment donc, Madame, qu’est-ce que cela signifie ? Ne doit-il pas être mon mari, ce jeune homme ?

MADAME ARGANTE.
Votre mari ? Lui, votre mari ?

LISETTE.
Bon, cela commence fort bien.

MADAME ARGANTE.
Monsieur le Comte, détrompez Madame, s’il vous plaît.

ANGÉLIQUE, bas à Mme Argante.
La détromper ! C’est là sa folie, ne vous l’ai-je pas dit ?

CHAMPAGNE. Parlez, Monsieur, parlez. Quelles mesures gardez-vous, qui vous empêchent de dire naturellement la vérité ?

ANGÉLIQUE.
Que me servirait-il de la dire, Madame ? Ne vous ai-je pas là-dessus expliqué cent fois mes pensées ?

MADAME ARGANTE.
Il est vrai qu’il faut être étrangement entêtée de chimères.

CHAMPAGNE.
Comment de chimères ! Vous souffrez qu’on m’appelle chimères, Monsieur ?

LISETTE.
Si la conversation s’échauffe, la Marquise aura sur les oreilles2.

CHAMPAGNE.
Parlez, Monsieur, parlez. N’ai-je pas la parole de votre père ?

ANGÉLIQUE.
Je veux croire qu’il vous l’a donnée.

MADAME ARGANTE.
Quoi, Monsieur !

ANGÉLIQUE.
C’est pour cela que je vous recommandais le secret.

CHAMPAGNE.
Votre soeur ne doit-elle pas épouser mon neveu ?

ANGÉLIQUE.
Il me semble que j’en ai ouï parler.

MADAME ARGANTE.
Vous ne m’en avez jamais rien dit.

ANGÉLIQUE.
À quoi bon vous entretenir de ces bagatelles ?

CHAMPAGNE.
Ne donnai-je pas à mon neveu le meilleur et le plus beau de mon bien en faveur de ce mariage ?

ANGÉLIQUE.
C’est une condition que mon père exigeait de vous.

CHAMPAGNE.
Vraiment, s’il ne l’exigeait pas, je me garderais bien de me la faire moi-même. Vous devez, après sa mort, être le maître de tout son bien : n’est-il pas juste qu’il cherche à assurer la fortune de votre sœur ?

ANGÉLIQUE.
Mon père a ses vues, Madame, et j’ai les miennes.

MADAME ARGANTE.
Tout ce qu’elle dit est donc vrai, Monsieur le Comte ? [...]

ANGÉLIQUE.
Par quelle raison vous en importuner ? Ai-je dessein de sacrifier ma tendresse aux intérêts de ma sœur ?

CHAMPAGNE.
Ah, le dénaturé !

ANGÉLIQUE.
Ne suis-je pas prêt à désobéir à mon père ?

CHAMPAGNE.
Le petit impie !

ANGÉLIQUE.
Et à faire serment à Madame que je me donnerai plutôt la mort que de me soumettre à l’épouser.

CHAMPAGNE.
L’insolent, à ma barbe oser s’expliquer de la sorte !

LISETTE.
Voilà ce qu’on peut appeler un sacrifice dans les formes. (…)

CHAMPAGNE.
Et fi, fi, Madame ! Vous devriez rougir de me le débaucher comme vous faites !

MADAME ARGANTE.
De vous le débaucher, Madame ! De quels termes vous servez-vous, s’il vous plaît ?

CHAMPAGNE.
Je me sers de termes qui conviennent fort bien au sujet.

MADAME ARGANTE.
Je pourrais bien me servir de la seule manière qu’il y a d’y répondre.

ANGÉLIQUE.
Ah ! Madame !

LISETTE.
Ne vous emportez point, Madame. Monsieur le Comte vous vengera lui-même, et Madame sera assez punie de ne le point épouser.

CHAMPAGNE.
Je ne l’épouserai pas, moi ? J’aurai tout fait pour lui ! Dis le contraire, petit ingrat, dis le contraire ! Argent comptant, pierreries, et ma vaisselle même ! J’ai sacrifié tout à tes folles dépenses, et je te souffrirais après cela dans les bras d’une autre ?

ANGÉLIQUE.
Eh bien, Madame, sont-ce là des titres3 pour me forcer à devenir votre époux malgré moi ?

LISETTE.
Bon ! Si on épousait d’obligation toutes celles qui font ces extravagances, il y a mille jeunes gens qui auraient plus d’une douzaine de femmes.

Notes :

  1. « hors d’oeuvre » : inappropriée
  2. « aura sur les oreilles » : va recevoir une correction.
  3. Qualité conférant un motif légitime, une raison valable à faire quelque chose ou à être quelque part ; qualité, mérite ou service donnant droit à quelque chose.