Extrait tiré de : Fatou Diome, La préférence nationale et autres nouvelles, 2001 (acheter l’œuvre)
Extrait proposé par : Collecte de listes de bac du projet Le Deuxième Texte
Une multitude de visages, de langues, d’accents, d’habits et de valises au poids variable. Un essaim de cœurs qui battent, chacun au rythme de ses rêves. Un haut-parleur alterne les langues les plus importantes, sinon les plus impérialistes de la planète. La voix s’infiltre dans les cerveaux qui la comprennent et contourne les autres. On entend le bruit des chaussures qui déposent la misère ou la fortune de leurs porteurs sur le carrelage. Roissy Charles De Gaulle se réveille drapé de son manteau d’hiver et ouvre déjà les bras comme une putain qui reçoit un riche client. Derrière son sourire se cache une foule de destin. Mais le décor d’une porte d’entrée ne présage pas de la qualité d’un domicile.
Je suis donc entrée dans la France que Paris ne dévoile pas. Strasbourg, une ville virile qui porte sa cathédrale comme une érection destinée au ciel. Là, j’ai hiberné de janvier à mai, ne sortant que lorsque je ne pouvais faire autrement.
Dehors, tout était uniforme. L’égalité n’avait jamais aussi bien porté son nom, personne n’échappait à l’emballage : manteaux, gants, écharpes et bottes créent l’espace d’un hiver une race artificielle, celle des emmitouflés. Les gens n’étaient plus boules de laine et couleurs industrielles. Les races étaient masquées. Un jour que sur le chemin de la fac une vieille marchait devant moi, je lui trouvai une telle ressemblance avec ma grand-mère que je m’abstins de la dépasser de peur de voir son visage et de rompre le charme.
Elle trottinait lentement, gracieusement, moi derrière elle. Je souris intérieurement à l’idée de raconter à ma grand-mère que j’avais vu une toubab qui lui ressemblait, ou de dire à cette Alsacienne qu’elle ressemblait à ma grand-mère noire comme l’ébène.