Extrait tiré de : Lucie Delarue-Mardrus, La Figure de proue, 1908
Extrait proposé par : Hélène Verdier
À travers la douceur de tes jeunes jardins,
Je m’avance vers loi, Tunis, ville étrangère.
Je te vois du haut des gradins
De ta colline d’herbe et de palmes légères.
Tu es si blanche, au bord de ton lac, devant moi !
Je m’étonne du bleu de ton ciel sans fumées,
J’imagine, à te voir, des heures parfumées
D’encens, de rose sèche et de précieux bois.
Avant toi, j’ai connu d’autres villes du monde,
Villes d’Europe avec la lance dans le flanc.
Villes du Nord, villes qui grondent
Et qui ne savent rien de ton chaud manteau blanc.
Avant toi, j’ai connu ma ville capitale :
Elle éparpille à tous son sourire éblouissant ;
Mais, noire sur son fleuve pâle,
Quel secret filtre, au soir, de ses soleils de sang !
Avant toi, j’ai connu ma ville de naissance,
Ma petite ville si loin,
Dans sa saumure et dans son foin.
Qui sent la barque et les grands prés, qui sent l’absence.
Maintenant, devant toi, blanche et couchée au bord
De ton lac, ô cité du milieu de ma vie,
Je pense avec peur, sans envie,
Qu’existe quelque part la ville de ma mort.
Et c’est rêvant ainsi sous les palmes légères
De ta colline aux verts gradins.
Que je descends vers toi, Tunis, ville étrangère,
À travers la douceur de tes jeunes jardins.