Extrait tiré de : Comtesse de Ségur, Les Petites Filles modèles, 1857 (acheter l’œuvre)
Extrait proposé par : Laura Prieur
Sophie avait été emportée par Mme de Fleurville et Élisa chez Camille et Madeleine, qui l’accompagnaient. On l’avait également déshabillée, essuyée, frictionnée, et on lui passait une chemise de Camille, quand la porte s’ouvrit violemment et Mme Fichini entra.
Sophie devint rouge comme une cerise ; l’apparition furieuse et inattendue de Mme Fichini avait stupéfié tout le monde.
« Qu’est-ce que j’apprends, mademoiselle ? vous avez sali, perdu votre jolie robe en vous laissant sottement tomber dans la mare ! Attendez, j’apporte de quoi vous rendre plus soigneuse à l’avenir. »
Et, avant que personne ait eu le temps de s’y opposer, elle tira de dessous son châle une forte verge, s’élança sur Sophie et la fouetta à coups redoublés, malgré les cris de la pauvre petite, les pleurs et les supplications de Camille et de Madeleine, et les remontrances de Mme de Fleurville et d’Élisa, indignées de tant de sévérité. Elle ne cessa de frapper que lorsque la verge se brisa entre ses mains ; alors elle en jeta les morceaux et sortit de la chambre. Mme de Fleurville la suivit pour lui exprimer son mécontentement d’une punition aussi injuste que barbare.
« Croyez, chère dame, répondit Mme Fichini, que c’est le seul moyen d’élever des enfants ; le fouet est le meilleur des maîtres. Pour moi, je n’en connais pas d’autres. »
Si Mme de Fleurville n’eût écouté que son indignation, elle eût chassé de chez elle une si méchante femme ; mais Sophie lui inspirait une pitié profonde : elle pensa que se brouiller avec la belle-mère, c’était priver la pauvre enfant de consolations et d’appui. Elle se fit donc violence et se borna à discuter avec Mme Fichini les inconvénients d’une répression trop sévère. Tous ces raisonnements échouèrent devant la sécheresse de cœur et l’intelligence bornée de la mauvaise mère, et Mme de Fleurville se vit obligée de patienter et de subir son odieuse compagnie.