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Claire Marin - Hors de moi - La prise en charge médicale


Marin

Claire Marin - Hors de moi - La prise en charge médicale

Extrait tiré de : Claire Marin, Hors de moi, 2008 (acheter l’œuvre)

Extrait proposé par : Laura Prieur


À propos de cet extrait :

Claire Marin est à la fois philosophe et écrivain. Professeur de philosophie, elle a beaucoup travaillé sur la question de la maladie et de sa violence. Son roman Hors de moi raconte l’histoire d’une jeune femme sans nom, professeur, qui souffre d’une maladie auto-immune surnommée « narcisse »... et qui a également étudié la maladie en philosophie.

En médecine, « on présuppose qu’on peut écorcher un homme sans atteindre à sa dignité, son humanité, sans lui manquer de respect [...]. La médecine se protège de l’idée de sa propre violence. [...] Il y a dans le geste médical un geste intrusif. Finalement l’écorché c’est aussi la figure de tout patient, qui va être écorché, c’est-à-dire entamé par la maladie. Mais le fait même d’être pris en charge par la médecine, c’est une autre écorchure. »

Claire MARIN, dans un entretien disponible ici : https://www.youtube.com/watch?v=9lETzjOzerY


(licence Creative Commons BY-NC-SA, Laura Prieur)
Texte de l'extrait (source) :

Lorsqu’on a été examinée pendant plusieurs années par des dizaines d’hommes et de femmes appartenant de près ou de loin à au milieu médical, lorsqu’on les a vus nous observer comme un animal, nous ausculter avec curiosité, dégoût, nous manipuler sans égard, comme une chose, comme de la viande, nous piquer avec maladresse ou brutalité, prélever des échantillons de sang, de chair, d’organes, avec agacement ou impatience, lorsqu’on a supporté les regards étonnés, moqueurs ou méprisants sur ce corps, on ne ressent plus les sentiments que l’on éprouvait d’abord devant sa propre nudité exhibée sans ménagement, sentiments de honte, de malaise, d’inquiétude, d’exaspération. Il reste la colère de l’humiliation. Ils ne voient plus l’humain en nous.

Quand tant de regards, habitués à la maladie et à sa puissance dévastatrice, ont traversé ce corps avec indifférence, lassitude ou résignation, il ne reste plus grand-chose en lui de pudique, de fier ou de sensuel. Il n’est plus depuis longtemps le lieu d’un plaisir narcissique. Il tombe dans le domaine public. Notre santé devient un sujet de conversation. Au malade, chacun se croit le droit de demander l’état de son corps, dans ses recoins les plus secrets. On ment, pour ne pas avoir à se mettre à nu.