Extrait tiré de : Claire Marin, Hors de moi, 2008 (acheter l’œuvre)
Extrait proposé par : Laura Prieur
Claire Marin est à la fois philosophe et écrivain. Professeur de philosophie, elle a beaucoup travaillé sur la question de la maladie et de sa violence. Son roman Hors de moi raconte l’histoire d’une jeune femme sans nom, professeur, qui souffre d’une maladie auto-immune surnommée « narcisse »... et qui a également étudié la maladie en philosophie.
Mon corps est entré dans l’éternelle saison de la fonte des neiges. Je serai bientôt un humain liquide, tout au moins ramolli, flasque. Les notices pharmaceutiques l’affirment. Les effets conjugués de la maladie et des traitements promettent un affaissement progressif. Fonte des muscles, faiblesse osseuse, mon corps s’écroule insensiblement, sans fracas, sans avalanche, sans bruit, comme la neige lascive au soleil. Comme le morceau de cire sous la chaleur, je vais perdre mon opacité et devenir translucide, mes veines sont déjà visibles sous la peau amincie par les corticoïdes1. Je vais perdre de ma résistance, les coups s’enfonceront dans la mollesse de ma chair. Je me déformerai sous l’effet du feu qui est en moi, celui de la guerre intestine2. On ne devine pas la bougie incandescente dans la flaque de cire chaude. Qui saura me reconnaître ?