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Catherine Lépront, Des gens du monde, 2003 – Marie


Lépront

Catherine Lépront, Des gens du monde, 2003 – Marie

Extrait tiré de : Catherine Lépront, Des gens du monde, 2003 (acheter l’œuvre)

Extrait proposé par : Audrey Fournier


À propos de cet extrait :

La narratrice, jeune infirmière à Nieul-sur-Mer, village de Charente-Maritime, rend visite à ses patients du matin au soir. C’est l’occasion de proposer une série de portraits, d’histoires de tous ces gens du monde qui l’entourent. Le roman s’ouvre par la rencontre avec Éphraïm Bonneau, ostréiculteur à la retraite qui fréquente toujours bassins et parcs à huîtres et s’invite dans la cabane des uns et des autres.


(licence Creative Commons BY-NC-SA, Audrey Fournier)
Texte de l'extrait (source) :

Ce qu’il préférait, lui, c’était être dans la cabane d’Alexandre et Marie Faure, mitoyenne de celle des parents Faure, il avait un faible pour Marie, et de l’admiration pour elle.

Marie est l’une des huit enfants Lesage, une famille de Nieul. Sa parentèle, à Nieul et dans les villages immédiatement alentour, ne devait pas compter moins d’une bonne centaine de personnes. Marie avait travaillé à la filature, à La Rochelle, puis chez Queval à La Pallice, avec Line et Danièle, deux de ses sœurs, et sa cousine Noëlle Gillet, puis elle s’était mise aux huîtres, disaient-ils ici, d’abord sur l’exploitation de ses beaux-parents, puis sur celle qu’elle avait acquise avec son mari Alexandre, et qu’elle n’avait quittée que le temps de mettre au monde son deuxième fils, puis le troisième. Le premier, elle l’avait eu quand elle était ouvrière chez Queval. Mais ne crois pas qu’elle a passé son congé de maternité chez elle à bichonner son nouveau-né en attendant de repartir à l’usine, non, a précisé Éphraïm, elle l’a passé à aider à la cabane des Faure. Et même chose pour les deux autres. Pour les femmes d’ici, le retour aux cabanes se fait avant le retour des couches.

Quand Éphraïm l’avait vue arriver, m’avait-il aussi raconté, il avait parié qu’elle ne tiendrait pas un mois. Et c’était, certes, en raison de son apparence – c’était une jeune femme menue, fragile, elle avait été une enfant maladive –, et le boulot était un rude boulot, mais, surtout, parce que sévissait ici une des lois singulières de la mer (les pêcheurs étaient soumis à l’autre loi, celle du large et de la longueur du temps, disait Éphraïm), et que cette loi régissait la vie des hommes et des femmes qui y étaient soumis, déterminait les liens et les rapports entre eux. Or, Marie était imprégnée d’une culture ouvrière, politisée, ajoutait-il avec une moue respectueuse – dans la bouche d’Éphraïm, cela signifiait aussi que Marie était citadine, que Nieul, à quelques kilomètres plus à l’intérieur des terres et dont la côte n’était pas exploitée, était en quelque sorte une ville. Il l’admirait, parce qu’elle avait tenu et travaillait comme les autres ostréiculteurs, hommes et femmes mêlés, sans broncher malgré le froid, l’humidité, les heures impossibles, la fatigue, malgré les profondes engelures qui avaient totalement bouleversé l’aspect de ses mains d’ouvrière textile. Il l’aimait parce que, tout doucement, avec autant d’opiniâtreté que de timidité, elle avait instauré à l’intérieur même de l’exploitation, mais aussi avec les ostréiculteurs voisins, leurs concurrents sur le marché, des liens solidaires, de fraternité ouvrière, avait précisé Éphraïm avec la même moue respectueuse. Puis il avait rigolé, Et pourtant, elle est pas plus haute que toi, mon p’tit, elle m’arrive là – il avait désigné sa poitrine –, elle tient dans ça – qui correspondait à la moitié de sa largeur.