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Marie-Catherine de Villedieu, « La Tourterelle et le Ramier »


Villedieu

Marie-Catherine de Villedieu, « La Tourterelle et le Ramier »

Extrait tiré de : Marie-Catherine de Villedieu, Fables, ou Histoires allégoriques, dédiées au Roi, 1670

Extrait proposé par : Edwige Keller-Rahbé


À propos de cet extrait :

Au mois de mai de l’année 1670, Mme de Villedieu fait paraître un recueil de huit fables animalières chez Claude Barbin, un libraire parisien qui s’est spécialisé dans la publication d’ouvrages mondains. Deux ans plus tôt, en 1668, le même Barbin venait de connaître un immense succès éditorial grâce à la publication des Fables choisies, mises en vers par M. de La Fontaine. Cette chronologie fait donc de Mme de Villedieu l’un des tout premiers auteurs à s’inscrire dans le sillage du grand poète, et surtout la première autrice à écrire des fables depuis Marie de France (XIIe-XIIIe siècles) et Marguerite de Navarre (La Fable du faux cuyder, 1543), le genre étant encore largement masculin. Avant d’être imprimées, les Fables, ou Histoires allégoriques avaient été offertes au monarque lors de la saint Louis, en août 1669, sous forme d’un manuscrit soigné avec un hommage en vers. Le recueil conserve la trace de ce geste courtisan via la dédicace « À sa Majesté », d’autant qu’il s’agit pour Mme de Villedieu de se rappeler au bon souvenir de Louis XIV qui lui a promis une pension de 1500 livres dès 1665, toujours impayée.

La fable inaugurale, « La Tourterelle et le Ramier », exploite avec délicatesse le motif de la veuve consolée en décrivant un beau parcours de résilience. D’aucuns y décèlent des accents autobiographiques, Mme de Villedieu étant endeuillée par la perte de son amant, tombé au siège de Lille en 1667. La fable offre ainsi une réécriture féminine et galante de « La jeune Veuve » de La Fontaine (VI, 21), et sans doute aussi une réécriture positive d’un air de cour de Pierre Guédron « Qu’on ne me parle plus d’amour, l’inconstance règne à la Cour » (Ballet des inconstants, 1608). Voir l’article complet avec ces deux autres textes...

« La Tourterelle et le Ramier » est incontestablement la fable la plus célèbre de Mme de Villedieu. Publiée avec quelques variantes en février 1679 dans Le Mercure Galant, elle peut également être écoutée suite à l’enregistrement réalisé pour le site Voix du Mercure Galant.


(licence Creative Commons BY-NC-SA, Edwige Keller-Rahbé)
Texte de l'extrait (source) :

Qu’on ne me parle plus d’Amour, ni de Plaisirs,
Disait un jour la triste Tourterelle :
Consacrez-vous, mon Âme, à d’éternels soupirs,
   J’ai perdu mon Amant fidèle.
Arbres, Ruisseaux, Gazons délicieux,
Vous n’avez plus de charmes pour mes yeux,
   Mon Amant a cessé de vivre :
Qu’attendons-nous, mon cœur ? Hâtons nous de le suivre.
Comme on l’eût dit, autrefois on l’eût fait.
Quand nos Pères voulaient peindre un Amour parfait :
   La Tourterelle en était le symbole,
Elle suivait toujours son Amant au trépas ;
   Mais la mode change ici-bas,
   De cette constance frivole.
   Le Désespoir a perdu son crédit,
   Et Tourterelle se console,
S’il faut tenir pour vrai, ce que ma Fable en dit.
   Elle prétend, que cette Désolée,
À sa juste douleur voulant être immolée,
Choisit un vieux Palais, vrai séjour des Hiboux ;
   Où sans chercher aucune nourriture,
Un prompt trépas était son espoir le plus doux :
Mais qui ne sait pas, qu’en toute conjoncture,
La Providence est plus sage que nous ?
   Dans cette demeure sauvage,
   Habitait un jeune Ramier,
   Houpé, patu1, de beau plumage,
   Et, quoique jeune, vieux Routier2
Dans l’art de soulager les douleurs du veuvage.
Pour notre Tourterelle, il mit courtoisement,
   Ses plus beaux secrets en usage ;
   La Pauvrette, au commencement,
   Loin de prêter l’oreille à son langage,
   Ne voulait pas, se montrer seulement :
Mais le Ramier parlant de défunt son Amant,
   Insensiblement il l’engage
   À recevoir son compliment.
Ce compliment fut d’une grande force,
Il disait du défunt, toute sorte de bien,
   Ne blâmait la Veuve de rien ;
Bref, c’était une douce amorce,
Pour attirer un plus long entretien.
   Voilà donc la belle Affligée,
   En tendres propos engagée :
   Elle tombe sur le discours
   De l’Histoire de ses Amours :
Dépeint, non sans cris, et sans larmes,
Du pauvre Trépassé, les vertus et les charmes :
Et ne croyant par là, que flatter sa douleur,
Elle apprit au Ramier le chemin de son cœur.
Par ce que le Défunt avait fait pour lui plaire,
   Il comprit ce qu’il fallait faire.
   Il était copiste entendu ;
Il sut si dextrement imiter son modèle,
   Que dans peu notre Tourterelle
Crut retrouver en lui, ce qu’elle avait perdu.


1 Patu : qui a des plumes jusque sur les pattes.
2 Routier : fort expérimenté.